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GABRIEL.

GABRIEL.

Au contraire, je suis triste ! Tenez ! j’ai fait un rêve bizarre qui m’a préoccupé et comme poursuivi tout le jour.

LE PRÉCEPTEUR.

Quel enfantillage ! et ce rêve…

GABRIEL.

J’ai rêvé que j’étais femme.

LE PRÉCEPTEUR.

En vérité, cela est étrange… Et d’où vous est venue cette imagination ?

GABRIEL.

D’où viennent les rêves ? Ce serait à vous de me l’expliquer, mon cher professeur.

LE PRÉCEPTEUR.

Et ce rêve vous était sans doute désagréable ?

GABRIEL.

Pas le moins du monde, car, dans mon rêve, je n’étais pas un habitant de cette terre. J’avais des ailes et je m’élevais à travers les mondes, vers je ne sais quel monde idéal. Des voix sublimes chantaient autour de moi ; je ne voyais personne ; mais des nuages légers et brillans, qui passaient dans l’éther, reflétaient ma figure, et j’étais une jeune fille vêtue d’une longue robe flottante et couronnée de fleurs.

LE PRÉCEPTEUR.

Alors vous étiez un ange, et non pas une femme ?

GABRIEL.

J’étais une femme, car tout à coup mes ailes se sont engourdies, l’éther s’est fermé sur ma tête, comme une voûte de cristal impénétrable, et je suis tombée, tombée… et j’avais au cou une lourde chaîne dont le poids m’entraînait vers l’abîme, et alors je me suis éveillé, accablé de tristesse, de lassitude et d’effroi… Tenez, n’en parlons plus. Qu’avez-vous à m’enseigner aujourd’hui ?

LE PRÉCEPTEUR.

J’ai une conversation sérieuse à vous demander, une importante nouvelle à vous apprendre, et je réclamerai toute votre attention.

GABRIEL.

Une nouvelle ! ce sera donc la première de ma vie, car j’entends dire les mêmes choses depuis que j’existe. Est-ce une lettre de mon grand-père ?

LE PRÉCEPTEUR.

Mieux que cela.