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avoir quelque jour contre nous la Russie et l’Angleterre. Soyons donc de la France et pour la France. Mettons-nous activement en défense et dans le cas de prendre au besoin une attitude agressive, et profitons des avantages d’une situation qui en a quelques-uns, toute critique qu’elle est. En présence de deux cabinets qui ont leurs plans arrêtés, ayons un plan, s’il est possible, et rappelons-nous surtout que la Russie n’a que des pensées russes, l’Angleterre que des vues anglaises. L’isolement, en pareil cas, est la force, car nous ne pouvons vouloir tout ce que veut l’Angleterre ; si elle veut l’Égypte et la Grèce, nous ne pouvons pas raisonnablement les lui donner. Les vues de l’Angleterre resteront peut-être long-temps sans exécution. Un évènement peut les précipiter ; mais elles sont de telle nature, qu’elles se transmettront sans doute d’un cabinet à l’autre, et que les tories, plus encore que les whigs, seront ardens à les exécuter. Le temps ne fait rien à l’affaire. Les projets des Russes s’accomplissent bien depuis un siècle et demi. Le rôle de la France est bien difficile au milieu de ces fortes et audacieuses combinaisons, et nous le disons à regret la direction de nos affaires étrangères, conduites par des mains si inexpérimentées, en cette matière, que celles de M. le maréchal Soult, n’est pas faite pour nous rassurer.


On vient de jouer une étrange pièce sur un théâtre qui veut prendre des allures littéraires. La Jeunesse de Goethe est un mythe, mais un mythe parfaitement intelligible, chose rare. La clarté du symbolisme tient sans doute à ce que la pièce n’est pas seulement allemande, mais aussi française : allemande, en ce qu’elle personnifie je ne sais quelle lutte imaginaire du génie contre la critique ; française, en ce qu’elle renouvelle l’orgueilleuse extase d’Olympio se chantant à lui-même l’hymne de sa destinée dominatrice. Chez Mme Colet, le critique est un eunuque, un parasite, un géant sur des échasses, etc., comme il est un champignon dans les Voix Intérieures ; mais il n’y a qu’égalité d’injures, et j’admire trop le génie puissant de M. Victor Hugo pour le nommer à propos de Mme Colet. La pièce jouée, il y a quelques jours, au théâtre de la Renaissance, affiche très haut la rare prétention d’être littéraire. Nous ne blâmerons certainement pas une aussi louable tendance ; mais plus le dessein annonçait de grandeur, plus il fallait que l’exécution y répondît : or, la Jeunesse de Goethe ne nous paraît remplir aucune des lois les plus élémentaires de l’art théâtral.

Le lieu de la scène ne me semble pas choisi avec ce tact exquis qu’il faudrait quelque peu demander aux femmes, de plus en plus nombreuses, qui font métier d’écrire. Lebrun, venant dire que l’encre sied mal aux doigts de rose, serait aujourd’hui hué ; mais, sans vouloir nous reporter aux innocens moutons de Mme Deshoulières, n’est-il pas permis de croire, qu’à moins d’être Mme de Staël ou George Sand, et de se mettre ainsi, par le génie, hors des conditions ordinaires, la réserve et la délicatesse dans l’art siéent surtout aux femmes ? L’hôtellerie de l’Eldorado ne ressemble nullement, sans aucun