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REVUE. — CHRONIQUE.

à étendre la domination anglaise sur le royaume de Grèce, avec lequel l’Angleterre vient précisément de rompre, et à relier cette double position par Aden, le Sind, le Lahor, et les possessions anglaises des Indes orientales. La France se trouverait ainsi tout à coup en présence de deux colosses, l’Angleterre et la Russie, et on répondrait à ses réclamations en lui montrant Alger et la partie de l’Afrique qu’elle s’est adjugée. L’Angleterre ne commencera pas la guerre, elle ne se jettera sur ses gages que lorsqu’elle y sera forcée ; mais il est permis, à la lecture du manifeste de la Porte et des nouvelles récentes de Constantinople, de se demander si la diplomatie anglaise ne hâte pas indirectement ce moment. Dans un tel état de choses, la France et l’Autriche se trouveraient liées par des intérêts communs. Dans tous les cas, en poussant la Turquie à la guerre, l’Angleterre courrait peu de risques d’après les projets qui se révèlent aujourd’hui. Si la Turquie triomphait du pacha, la route par l’Égypte serait ouverte à l’Angleterre, grace aux bonnes dispositions du sultan, et l’équilibre européen, un peu rétabli, permettrait à l’Angleterre d’observer encore les évènemens et de les attendre avec patience. Dans le cas contraire, l’Angleterre se trouverait nantie, et pourrait combattre avantageusement l’influence de la Russie en Orient. En attendant, et dans l’incertitude, malheureusement très facile à dissiper, où nous sommes, le manifeste de la Porte ottomane ne vient-il pas comme à point pour montrer l’impossibilité de pratiquer le système que la commission de la chambre a proposé au gouvernement, par l’organe de son rapporteur, M. Jouffroy ?

Cette politique est celle qui a été déjà proposée par M. Janvier, député doctrinaire, et dont on doit la pensée, dit-on, à M. de Broglie. Elle consiste à s’avancer délibérément à la conquête du statu quo, en formant une confédération pour le maintenir. À cet effet, la Turquie serait invitée formellement à signer un traité de garantie réciproque avec la France, l’Angleterre, et, s’il se peut, avec l’Autriche. Assurément, si ces trois puissances consentent à signer un tel traité, toutes les difficultés seront résolues ; mais il ne faut pas se bercer de chimères : si le manifeste de la Porte est authentique, l’Angleterre ne se joindra pas sincèrement à nous, et il lui suffira d’influencer le gouvernement turc pour faire échouer toutes les négociations. Or, de bonne foi, où est l’intérêt de la France à se lancer ainsi dans les affaires d’Orient, en présence des symptômes qui se manifestent ? Devant de tels indices, la France doit se montrer prudente, se maintenir, il est vrai, dans l’alliance anglaise, mais se faire rendre promptement compte des desseins de l’Angleterre, et faire, vis-à-vis d’elle-même, ses réserves sur l’Orient. L’Angleterre ne se réserve-t-elle pas aussi sur certains points ?

Une alliance, comme toutes les grandes affaires de ce monde, est une chose complexe ; deux nations n’englobent pas tous leurs intérêts dans les stipulations bienveillantes d’un traité d’alliance, nous le voyons chaque jour depuis neuf ans. Au Mexique, nous étions menacés de la guerre avec l’Angleterre et les États-Unis, qui ne sont pas alliés cependant, mais que leurs intérêts eussent rapprochés là contre nous. Dans la mer de Marmara, nous pourrions