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la justice et de la vérité. Quant à nous, on nous trouvera toujours prêts à y rappeler ceux qui s’en écarteront.

Si les dernières nouvelles de Constantinople se confirment, la question d’Orient changerait subitement de face, et il faudrait se résoudre à l’anéantissement du statu quo et à la guerre. Le manifeste de la Porte ottomane, publié par la Gazette d’Augsbourg, est, à coup sûr, une pièce bien importante, si elle n’est pas apocryphe. Le sultan élève contre son vassal des griefs de religion, et en cela, l’esprit de l’Orient se montre tout entier ; mais d’autres griefs ont été inscrits dans ce document, ce sont même les seuls qui aient une portée politique. Or, ces griefs étant tout anglais, on est amené à se demander quelle main les a glissés dans cette pièce. Méhémet-Ali est accusé par le sultan de n’avoir pas voulu laisser traverser ses états par un corps de troupes anglaises qu’on voulait embarquer à Suez pour Bombay, et il intrigue, dit le manifeste, pour empêcher l’Angleterre de s’emparer d’Aden et de s’y établir. En conséquence, il est regardé comme un traître par le gouvernement ottoman, qui déclare qu’il ne peut tolérer cet état de choses. D’autres lettres, venues également par l’Allemagne, annoncent que c’est l’influence anglaise qui pousse le sultan à la guerre, et l’on attribue les efforts que lord Ponsonby fait pour exciter le sultan contre le vice-roi d’Égypte à l’excentricité de l’ambassadeur. Si lord Ponsonby agit dans le sens qu’on lui prête, et déjà le manifeste de la Porte donne à penser à ce sujet, il n’y aurait pas la moindre excentricité dans sa conduite, et elle serait, selon toutes les apparences, conforme aux instructions qu’il reçoit d’Angleterre. Mais, encore une fois, toute la question d’Orient se trouverait changée, et d’une manière bien subite.

L’Angleterre a fait depuis quelques années de grands efforts pour s’ouvrir un chemin permanent à travers l’Égypte ; tout le monde le sait. Le traité de commerce du 18 avril 1838, qu’elle a fait signer au sultan, était surtout dicté par le sentiment qui anime l’Angleterre contre Méhémet-Ali depuis le refus de couper une partie de ses états par un chemin de fer à l’usage de l’Angleterre. La prise d’Aden a suivi de près les nouvelles combinaisons du gouvernement britannique. Trois cents pièces d’artillerie ont été envoyées par les Anglais dans cette place, et leur dessein est d’en faire un Gibraltar en Orient. La ville d’Aden, située au midi de l’Yemen, est extrêmement favorable à ce projet, et on ne conçoit pas l’aveuglement de la Porte, qui prend fait et cause pour l’Angleterre dans cette circonstance. L’arrivée toute récente des Anglais dans le Sind annonce également qu’un vaste plan se combine dans les conseils de cette puissance, pour prendre en Orient une position aussi forte et aussi étendue que serait celle de la Russie, si cette dernière s’emparait de Constantinople. Le plan de l’Angleterre date de deux ans environ, et quelques gouvernemens étrangers en ont déjà eu indirectement connaissance, il consiste à s’emparer de l’Égypte aussitôt que la Russie aura envahi les provinces turques par suite du traité d’Unkiar-Skélessi, ou de quelque autre combinaison,