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s’était fait apporter ces dépêches la veille de la discussion, et s’il avait passé quelques heures à les lire avec M. le marquis de Dalmatie, le procédé ne serait-il pas encore plus inconcevable ? Pour le ministère du 15 avril, nul doute qu’il n’accepte toutes les conséquences de ses négociations, et même celles de ses instructions et de ses dépêches. Tout ce que nous lui souhaitons, c’est que ses successeurs mettent ses actes au grand jour, au lieu de les cacher. On peut, en effet, repousser la solidarité d’actes auxquels on n’a pas eu part, comme on peut refuser de ratifier les traités ; mais on ne doit pas laisser accuser injustement ses prédécesseurs, eussent-ils été vos adversaires !

Venons à l’Espagne. C’est maintenant à M. Dufaure que nous nous adressons. Que les journaux de l’opposition, par une tactique qui leur est propre, recueillent un mot prononcé à la tribune par un ministre, torturent ce mot, l’isolent, et lui donnant une signification contraire à celle qu’il a, s’en emparent et s’en fassent une arme contre le gouvernement, cela peut se concevoir, jusqu’à un certain point, de la part des journaux. Mais qu’un homme aussi haut placé qu’un membre du conseil, qu’un ministre du roi use de cette méthode, c’est ce qu’on ne saurait trop déplorer. Nous comprenons que M. Dufaure, interpellé par M. de la Redorte, et accusé de contradiction dans sa politique, ait eu à cœur de se justifier. Mais fallait-il le faire aux dépens de la vérité ? Le ministère actuel a adopté, à l’égard de l’Espagne, un plan qu’il a l’espoir de faire réussir du côté du centre gauche de la chambre. Ce plan consiste à faire exactement ce que faisait le ministère du 15 avril, à donner les mêmes instructions, à établir les stations navales sur les côtes d’Espagne, telles que le cabinet du 15 avril les avait établies avant que l’expédition du Mexique n’eût forcé d’en détacher quelques bâtimens. Le système est le même, mais les paroles sont autres. On dit bravement à la chambre qu’on veut sauver l’Espagne, secourir la reine Isabelle, et qu’on agira quand il faudra. En un mot, on veut s’écarter du ministère du 15 avril par le langage, si on ne le fait par les actions, et pour mieux réussir, on dit, comme a fait M. Dufaure, que la politique du 15 avril se résumait, à l’égard de l’Espagne, par le mot jamais, et l’on s’écrie, comme il a fait : « Dites-le-moi, si ce n’est pas là une politique qui nous soit propre, et si elle a quelque chose de semblable à celle du cabinet qui nous a précédés ? » Or, nous allons prouver à l’instant même à M. Dufaure que sa politique n’est rien de plus que celle du 15 avril, et en outre, que son langage est encore au-dessous de celui que tenait ce cabinet.

Nous ferons d’abord remarquer que ce fut sous le ministère du 6 septembre qu’eut lieu une première explication au sujet de l’Espagne, où M. Molé exprima sa pensée. M. Guizot, avec sa hardiesse, sa vivacité d’esprit ordinaire, s’était écrié que si don Carlos arrivait à Madrid, le prétendant ne serait que plus embarrassé, et qu’il serait encore plus à la merci de la France. C’est à cette occasion que s’éleva une nuance de dissentiment dans le cabinet, et que M. Molé déclara une première fois que l’arrivée du prétendant à Madrid serait un malheur immense, et que la France devrait faire tous ses efforts pour le conjurer. L’occasion de se prononcer de la même manière se présenta souvent