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LETTRES POLITIQUES.

réforme qui affaiblit les sentimens religieux et nationaux, sauvegarde de cet état ; enfin, récemment, elle a fermé la mer Noire aux flottes des autres puissances. Que peut-elle vouloir de plus ? La possession de Constantinople, la clé de sa maison, comme disait l’empereur Alexandre ? Mais les avantages qu’acquiert une puissance doivent toujours être mis en balance avec les inconvéniens qui peuvent en résulter pour elle. La Russie s’ouvrirait, par Constantinople, l’entrée de la Méditerranée ; mais elle réunirait par cela même, contre elle, toutes les puissances méditerranéennes, en tête desquelles figurent la France, l’Autriche et l’Angleterre, et une foule d’états secondaires qui seraient entraînés. Je ne sais si la Russie voit assez froidement sa situation pour raisonner ainsi ; mais assurément aujourd’hui ce serait son meilleur calcul. Pour l’Autriche, l’Orient lui est ouvert, sous le rapport commercial, par deux voies, le Danube et les Dardanelles. Ses produits nombreux débouchent par les deux seules ouvertures de la mer Noire, et elle fait dans cette mer un double commerce, italien et allemand. Les produits de cet empire industrieux s’avancent même par ces voies dans l’Asie centrale, et l’Autriche figure avec avantage dans le tableau des exportations qui se font par Trébizonde. En un mot, comme puissance méridionale, l’Autriche est intéressée commercialement à la conservation de l’empire turc, et, comme puissance du Nord, elle est obligée de maintenir ce poids dans la balance politique de l’Europe. Quant à la Prusse, elle se trouve déjà trop anéantie par le voisinage de la Russie, pour ne pas arrêter de tous ses efforts le développement ultérieur de cette puissance colossale, colossale surtout relativement à la Prusse et à l’étroite voie qu’elle dessine entre les états de l’Allemagne, depuis la frontière de la Russie jusqu’à la frontière de France. Je pourrais ainsi, monsieur, vous exposer successivement toutes les raisons qu’ont devers eux les différens états de l’Europe, même les plus petits, pour concourir au maintien de l’empire de Turquie ; et plus j’examine, plus je vois que la France seule n’a pas un intérêt aussi majeur à contribuer à la durée de cet état de choses. Le commerce direct de la France avec le Levant n’est pas très étendu, il diminue même chaque jour ; ses relations avec l’Asie centrale sont nulles, la présence d’une puissance maritime de plus dans la Méditerranée ne peut que diviser l’empire de cette mer, et empêcher, dans l’avenir, l’Angleterre de s’en faire la dominatrice exclusive, comme il arriva dans la guerre contre Napoléon. Enfin, n’importe quel serait l’état d’assoupissement où se trouverait plongée la politique fran-