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ment pour je ne sais combien de nos marchandises, en sorte que les sentimens de bienveillance pour l’Angleterre y augmentent en raison de l’étendue de nos communications. Or, je vous montrerai tout à l’heure, monsieur, quelle est la nature de nos communications, ainsi que celles des Russes, avec l’Asie centrale, et vous me direz après vous-même s’il peut s’ensuivre quelque bienveillance pour l’une de ces deux nations. Je crois donc très peu à tous ces sentimens prêtés aux Asiatiques centraux ; et s’il existe des pensées de ce genre dans ces populations, selon mon opinion très humble, les voici : les Turcomans et les Boukhares, plus voisins de l’empire russe, craignent la Russie, ainsi que les habitans de Lahor, du Penjab et du Beloutchistan redoutent la puissance anglaise, dont ils sont moins éloignés. Dans l’Asie centrale, en un mot, on se défie des infidèles selon qu’ils sont plus ou moins proches, et on les hait tous indistinctement.

Vous allez en juger. Le jeune Burnes était venu comme ambassadeur à Lahor ; il en partit sans caractère officiel, la prudence le commandait, et n’emportant d’autres instructions que celles qui lui avaient été données par M. Court, un de vos officiers français au service de Rindjit-Sing. Ces instructions se bornaient aux recommandations suivantes, faites par votre compatriote au nôtre : « Conformez-vous aux mœurs des pays que vous traverserez. — Dépouillez-vous de tout ce qui pourrait vous faire reconnaître pour un Européen, car vous seriez assassiné. — Ne faites aucune liaison sincère avec les Orientaux ; leurs paroles flatteuses cachent presque toujours de sinistres desseins. — Évitez toute conversation sur la religion. — N’écrivez qu’en secret. — Soyez toujours armé jusqu’aux dents. — Prenez l’apparence misérable d’un fakhir, et que Dieu vous fasse arriver à bon port ! » D’après ces instructions et d’autres verbales, l’officier anglais se couvrit de la robe des Afghans, se fit raser la tête, et quitta ses bottes pour prendre des pantoufles. Puis, ayant donné sa tente, son lit, ses malles, et n’ayant gardé que les instrumens nécessaires à ses observations, il partit pour traverser la moitié de l’Asie, n’ayant pour tout bagage qu’une couverture destinée à couvrir sa selle et à lui servir de lit, car il ne devait plus avoir désormais que la voûte du ciel pour abri. Voilà, monsieur, à quel prix les Européens, Anglais et autres, peuvent avoir des communications avec les habitans de l’Asie centrale. Vous verrez tout à l’heure jusqu’à quel point les sentimens de bienveillance pour l’Angleterre s’y animent et s’y répandent, pour parler comme nos écrivains de gazette et nos orateurs du parlement.

Grace à ces généreuses précautions de Rindjit-Sing, M. Burnes