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déjà décrit ses eaux profondes et bouillonnantes, ainsi que leur cours terrible et majestueux. Vous savez aussi bien que moi, monsieur, que ces traîtres sont Arrien, Quinte-Curce, Néarque, et tous les historiens de l’expédition d’Alexandre-le-Grand.

Ainsi renvoyé de Gora, notre compatriote se présente à la bouche la plus orientale, mais là attendaient de nouvelles entraves et un autre écrit où l’on énumérait les rochers, les sables mouvans, les tourbillons, les hauts-fonds du fleuve. Au milieu de toute cette sollicitude perçait la pensée que l’envoyé était le précurseur d’une armée, et qu’il venait tracer la route pour une expédition d’une autre nature. Cependant tant de persévérance commençait à triompher, et l’on offrit au lieutenant Burnes de lui ouvrir la route de terre pour lui-même, pour ses gens, son carrosse et ses chevaux. Mais le lieutenant se récria vivement. Faire voyager par terre, sur leurs pieds, sur ses roues, les chevaux et le carrosse de sa majesté le roi de Lahor, c’était un sacrilége ! Il menaça tant de s’en plaindre à Rindjit-Sing, que, s’étant présenté au Hadjamri, l’une des onze bouches du fleuve et son embouchure centrale, on le laissa passer, en lui refusant un pilote toutefois, dans l’espoir qu’il périrait en franchissant la barre. Vous le croyez déjà sur l’Indus ? Nullement, monsieur. Arrivé à l’eau douce, on l’arrêta, en lui renouvelant la proposition de voyager par terre, et il y eut des conférences qui durèrent dix jours, après lesquelles on le laissa encore un peu s’avancer.

Je vous fais grace des autres difficultés qu’éprouva notre explorateur, qui nous a rapporté de ce voyage à Lahor une excellente carte du cours de l’Indus, que j’ai sous les yeux, et qu’il a relevée au milieu des volées de canon et des coups de fusil qu’on lui envoyait souvent sous divers prétextes. Le voilà donc au pied des monts Himalayas, à Lahor. Il a remonté l’Indus à travers mille obstacles, en échappant aux embûches sans nombre que lui tendaient les petits princes dont il traversait les états. Eh bien ! il n’est encore qu’au début de son voyage, et s’il veut aller toucher à la Perse ou à la rive de la mer Caspienne, opposée à la rive russe de cette mer, il lui reste à traverser le Kondouz, la Boukarie, le Turkestan, et l’affreux grand désert, où une caravane de cinq cents chameaux suffit pour mettre à sec tous les puits.

Il résulte de cette exploration de l’Indus que l’espace à parcourir entre ses embouchures et Lahor est de mille milles anglais. Après avoir reçu les rivières du Penjab, l’Indus ne baisse jamais, dans les temps de sécheresse, au-dessous de quinze pieds. Les plus