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LETTRES POLITIQUES.

modelés sur les vôtres, que de la scélératesse britannique et de la perfide Albion. Maintenant les imprécations publiques s’adressent à la Russie, aux barbares Moscovites, et j’en suis ravi ; car puisqu’il faut une bête noire à l’Europe, autant que ce soit la Russie que nous.

Ce que je reproche seulement à lord Dudley Stuart, à M. Fergusson, au docteur Hervey et aux antagonistes de la Russie, dans le parlement anglais en général, c’est, selon une idée que je vous ai déjà exprimée, de voir les choses moins graves qu’elles ne sont. Il faut donc que je me répète. En reprochant à lord Melbourne ses complimens de politesse au jeune héritier impérial, lord Dudley Stuart a sonné l’alarme dans toute l’Angleterre, au sujet de l’insouciante imprévoyance de notre premier ministre. Je ne sais jusqu’à quel point il mérite ce reproche, et je suis loin d’ajouter foi à l’Argus, une de nos feuilles qui, dans un facétieux dialogue entre le vicomte Melbourne et lord Normanby, représentait, il y a peu de jours, le premier ministre couché sur un sopha, les Mémoires de Grammont à la main, et se faisant attifer les cheveux en attendant l’heure de monter à cheval avec la reine. Quoi qu’il en soit, les inquiétudes de lord Dudley Stuart me semblent mal dirigées. Sir John Mac-Neill, après avoir écrit durant deux années à notre gouvernement que les routes à travers la Perse, vers Hérat et Candahar, sont à peu près impraticables, et que la communication jusqu’à l’Indus est une chimère, s’est tout à coup ravisé. Les dernières dépêches qu’il écrivit avant son départ de Téhéran annonçaient qu’une armée nombreuse peut traverser la Perse sans inconvéniens, et qu’elle trouverait sans nul doute de grandes facilités à gagner l’Indus. À mon sens, sir John Mac-Neill exagère encore, et lord Dudley Stuart conclut mal de ces observations. — Sachez donc, monsieur, pour ne pas tomber dans les mêmes erreurs, qu’une armée russe ou persane atteindrait difficilement l’Indus à travers l’Asie, et qu’une fois là, je ne sais en vérité ce qu’elle pourrait y faire. Descendre gaiement le grand fleuve pour aller conquérir l’Inde sur les traces de Bacchus et d’Alexandre-le-Grand ? Mais malgré tout l’avantage qu’il y aurait pour les Russes qui, une fois à l’Indus, n’ont qu’à le descendre pour venir à nous, tandis que pour venir à eux nous serions obligés de le remonter, je ne comprends pas le but de cette expédition ; et, si je le comprenais, je n’en verrais pas moins toutes les difficultés. Lord Dudley Stuart, encore une fois, n’a pas senti toute l’étendue et la gravité du danger, et, pour ma part, je trouve qu’il a été trop modéré dans ses imprécations de Free-Mason’s Hall, où il s’agissait,