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LES CONSCRITS DE PLÔ-MEÛR.

IX.

Vers le soir, dans la lande où finit la paroisse,
S’arrêta le convoi ; ce fut l’heure d’angoisse :
Dans la bière on jeta leurs cheveux, leurs habits,
Et tout l’enterrement chanta De Profundis.

X.

Les pères sanglottaient. On eût dit que les femmes
Dans leurs cris forcenés voulaient jeter leurs ames.
Tous appelaient leurs fils en se tordant les bras ;
Comme s’ils étaient morts, eux ne répondaient pas.

XI.

Graves et sans jeter un regard en arrière,
Ils partirent, laissant à Dieu leur vie entière :
Deux à deux ils allaient tout le long des fossés,
Si mornes qu’on eût dit de loin des trépassés.

XII.

Dieu reçut ces martyrs. Dans quelque fosse noire
Leurs os depuis long-temps sont plus blancs que l’ivoire.
Quant aux parens, la mort n’en laissa pas un seul.
Pères et fils tiendraient dans le même linceul. —

XIII.

Jeunes gens désolés qui partez pour la France,
Conscrits d’un temps de paix, à vous bonne espérance !
Le monde est beau, partez ! de retour au pays,
Fièrement vous direz un jour : J’ai vu Paris !


A. Brizeux.