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LITTÉRATURE ANGLAISE.

intelligence arlequine, composée de pièces et de morceaux incohérens, incongrus, dont leur possesseur ne savait que faire, et qu’il s’occupait éternellement à rapiécer, à recoudre, à mettre en ordre ; le pauvre homme n’en finissait pas et s’occupait perpétuellement à ce travail, avec une arrogance qui se croyait capable de tout. Sa prétention à l’universalité faisait ressembler son esprit à un exemplaire du Penny Cyclopœdia, imprimé la tête en bas. Les lieux communs sortaient de sa bouche avec une emphase gigantesque et pompeuse qui rappelait l’effort ridicule d’un éléphant qui courberait sa trompe pour recueillir un brin de paille. Cet homme qui croyait avoir tout appris avait sans doute entendu parler au collége du centre de gravité et de son importance ; aussi s’étudiait-il à ne le perdre jamais ; son équilibre ne se dérangeait en aucune circonstance, et l’extrême intérêt qu’il attachait à sa personne le persuadait qu’il était l’atome nécessaire à la pondération de l’univers ; aussi en prenait-il le plus grand soin et le plus constant. Il ne riait pas, et quand il lui arrivait par hasard de faire rire les autres, la contagion ne s’étendait jamais jusqu’à lui. Ultra-libéral en politique (cela rend la déclamation plus facile), autocrate et tyran dans la vie privée, sans doute par compensation ; Caligula dans ses accès de clémence, et Dracon dans ses accès de mauvaise humeur, tout ce qui lui appartenait était merveilleux, parfait, incomparable, sa femme exceptée. Elle n’appartenait pas précisément à sa race, elle n’était pas de sa souche ; on la tolérait, et voilà tout. »

La femme irritée se laisse trop sentir dans le portrait. Eh ! non, ce n’est pas là Bulwer, le dandy élégant, aux basques de satin violet, aux gants irréprochables ; raide en effet, mais d’une raideur plus byronienne qu’aristocratique. Mme Bulwer a confondu la hauteur de l’aristocratie de naissance avec celle de l’homme à la mode. Elle n’a pas eu le tact de distinguer cette sourcilleuse et démocratique humeur qui coudoie et fend orgueilleusement la foule pour ne pas s’y perdre et s’y confondre, de cet autre orgueil d’une noblesse antique, fier de ses aïeux, fier de sa position, qui marche la tête haute et les yeux fermés. Ce sont deux fiertés bien différentes. M. Bulwer a la morgue de l’homme nouveau, qui capte la popularité. Il faut bien faire le fat et le fier, pour se frayer un passage à travers le peuple ; les masses écrasent ceux qui ne les écrasent pas, et M. Bulwer s’est fait l’homme des masses. Voyez Mirabeau, O’Connell et tous les tribuns, ils ont une démarche et des tons de Jupiter ; s’ils se faisaient petits, toute la canaille les foulerait aux pieds.