Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.
6
REVUE DES DEUX MONDES.

LE PRINCE.

Non ! Ce vieux vin est ami du vieux sang. Je me trouve vraiment mieux.

LE PRÉCEPTEUR.

C’est un long et pénible voyage que votre altesse vient de faire… et avec une rapidité…

LE PRINCE.

À quatre-vingts ans passés, c’est en effet fort pénible. Il fut un temps où cela ne m’eût guère embarrassé. Je traversais l’Italie d’un bout à l’autre pour la moindre affaire, pour une amourette, pour une fantaisie ; et maintenant il me faut des raisons d’une bien haute importance pour entreprendre, en litière, la moitié du trajet que je faisais alors à cheval… Il y a dix ans que je suis venu ici pour la dernière fois, n’est-ce pas, Marc ?

MARC, très intimidé.

Oh ! oui, monseigneur.

LE PRINCE.

Tu étais encore vert alors ! Au fait, tu n’as guère que soixante ans. Tu es encore jeune, toi !

MARC.

Oui, monseigneur.

LE PRINCE, se retournant vers le précepteur.

Toujours aussi bête, à ce qu’il paraît ? (Haut.) Maintenant laisse-nous, mon bon Marc, laisse ici ce flacon.

MARC.

Oh ! oui, monseigneur. (Il hésite à sortir.)

LE PRINCE, avec une bonté affectée.

Va, mon ami…

MARC.

Monseigneur… est-ce que je n’avertirai pas le seigneur Gabriel de l’arrivée de votre altesse ?

LE PRINCE, avec emportement.

Ne vous l’ai-je pas positivement défendu ?

LE PRÉCEPTEUR.

Vous savez bien que son altesse veut surprendre monseigneur Gabriel.

LE PRINCE.

Vous seul ici m’avez vu arriver. Mes gens sont incapables d’une indiscrétion. S’il y a une indiscrétion commise, je vous en rends responsable. (Marc sort tout tremblant.)