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REVUE. — CHRONIQUE.

annoncer hautement le dessein d’entraîner spontanément la Turquie dans cette alliance, quand un traité la lie, malgré elle il est vrai, c’est rendre impossible toute conclusion. Le principe de l’intégralité de l’empire ottoman, établi par la France et l’Angleterre, suffira aux dangers du moment, et les négociations, qui seront longues, feront, s’il se peut, le reste. Si la France et l’Angleterre s’étaient appuyées sur ce principe, lors des attaques du pacha d’Égypte contre la Porte, le traité d’Unkiar-Skelessi n’eût jamais été signé ; mais la Turquie ne résistera aux instances qui lui seront faites par la Russie, pour le renouveler, que lorsqu’elle sera bien assurée de la protection des alliés plus désintéressés qui se présentent. À cet effet, on a dû et on doit encore s’occuper d’effacer de fâcheux antécédens, tels que l’abandon où on l’a laissée, et ce n’est pas l’affaire d’un jour. Il n’y a donc encore, à l’égard de la Turquie, qu’une politique d’attermoiement à pratiquer, et l’on n’arriverait pas au but par le moyen un peu brusque que propose le parti doctrinaire. On ne doit pas le blâmer de montrer des sentimens nationaux ; mais l’exagération est dangereuse, même dans le bien, et nous avons vu qu’en ce qui est de l’Espagne, une politique qui semblait hardie, a écarté long-temps et écarte encore des affaires un des hommes les plus distingués de la chambre.

Nous avons dû donner de l’importance à cette opinion, car ce n’est sans doute pas sans dessein qu’on l’a mise sous le patronage de M. le duc de Broglie. Le nom du noble duc a été souvent prononcé depuis quelques jours, et nous n’avons éprouvé aucun étonnement en lisant dans les feuilles des départemens qui ont eu des relations avec le ministère de l’intérieur, que les travaux sérieux nécessités par les nouvelles d’Orient amèneraient très prochainement M. le duc de Broglie au ministère des affaires étrangères. Nous sommes de l’avis de M. le président du conseil, qui pense lui-même, dit-on, que le cabinet a besoin d’un ministre des affaires étrangères ; mais nous avouons franchement que nous ne voyons pas comment M. le duc de Broglie le consoliderait.

Même à part la crudité de cette politique d’Orient, dont il ne nous a pas été permis de constater l’authenticité, la présence de M. le duc de Broglie dans le ministère serait-elle de nature à satisfaire la majorité de la chambre ? Le thermomètre de l’ingénieur Chevalier ne marquera pas toujours vingt-quatre degrés au-dessus de zéro, et le désir de regagner les champs ne rendra pas la chambre si parfaitement accommodante qu’elle semble l’être dans la présente session. M. le duc de Broglie ne pourra se passer, dans le conseil, de l’appui de M. Guizot. Il se rapprochera de lui en lui offrant un ministère, et la modification inévitable sera faite dans le sens de la droite. Est-ce bien là le résultat que désignaient les élections, et un tel cabinet pourrait-il résister aux débats de l’adresse dans la session prochaine ?

Nous n’avons rien à opposer personnellement aux doctrinaires. Leurs fautes sont connues, et nous ne sommes pas ceux qui les ont jugées le plus sévèrement. Si nous craignons leur entrée définitive aux affaires, c’est qu’à notre avis l’irritation publique s’en accroîtrait en peu de temps, et que nous verrions s’augmenter l’influence des partis extrêmes. Nous plaçons aussi haut M. le duc de Broglie que personne puisse le faire ; mais notre avis est que, s’il est nécessaire, on doit lui donner la présidence. Un caractère aussi décidé que celui de M. le duc de Broglie doit le faire traiter autrement qu’en homme bon à boucher une lacune ; et, dans la combinaison actuelle, ce caractère, très noble sans nul doute, offre plus d’un inconvénient. Résolu et persévérant sur cer-