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REVUE. — CHRONIQUE.

s’accorde en tout point avec les paroles qu’on dit avoir été prononcées dans les bureaux de la chambre des députés par M. le président du conseil et par M. le ministre de la marine, à l’occasion du crédit de dix millions. M. Passy disait hier, dans la chambre des députés, qu’il n’y a pas d’opinions individuelles dans le conseil. Il nous semble, au contraire, que nous ne voyons guère se produire que des opinions individuelles de la part des ministres, et qu’elles se présentent même quelquefois sous deux aspects différens. Nous pourrions en trouver la preuve dans le discours de M. le maréchal Soult.

On a rapporté que, dans les bureaux de la chambre des députés, les ministres de la marine et des affaires étrangères, ayant été amenés à donner quelques explications au sujet du crédit de dix millions, avaient déclaré que le ministère entendait envoyer des vaisseaux le long des côtes d’Espagne, et donner aux capitaines des instructions d’après lesquelles ils seraient autorisés à débarquer au besoin leurs hommes pour assister le parti constitutionnel. Ce fait n’a pas été démenti par le ministère. Il en résulterait que le cabinet du 12 mai entrerait dès à présent dans les principes du programme formulé par M. Thiers, et que c’est la politique de ce dernier, repoussée dans la crise ministérielle par M. le maréchal Soult, qui prévaudrait maintenant. M. Thiers n’entendait faire rien de plus, et le ministère ne ferait rien de moins. D’où vient donc que M. le maréchal Soult a déclaré à la chambre des pairs qu’il était contre l’intervention, contre la coopération, que c’est là son système, et que le ministère s’est formé sous les auspices de cette politique à l’égard de l’Espagne. Faire la politique de M. Thiers dans les bureaux de la chambre des députés, faire la politique de M. Molé dans la chambre des pairs, est-ce là, nous le demandons, un système politique ?

Quant à la question d’Orient, le ministère paraît s’être conformé, dans le sein de la commission des députés, à la réserve qu’il a montrée à la tribune des pairs, et s’être renfermé dans cette simple déclaration : le maintien de l’empire ottoman. En conséquence, le ministère se serait borné à communiquer, dit-on, le texte du traité de Kutaya, déjà connu et publié, et un hatti-schérif du sultan au sujet de l’investiture de la Syrie ou d’une autre province. Les hommes modérés et circonspects, faisant la part des embarras du cabinet, se sont contentés, dit-on, de ces communications. Un député doctrinaire, M. Janvier, aurait seul insisté avec une vivacité extrême pour la communication des pièces diplomatiques, et le discours qu’il aurait prononcé en cette occasion serait de quelque intérêt, car il aurait été formulé fidèlement, dit-on, sur l’opinion de M. le duc de Broglie.

Ce système consisterait à marcher entièrement et sans restriction avec l’Angleterre, à lui proposer une alliance offensive et défensive à l’égard de l’empire turc, et à établir, de concert avec notre alliée, que toute entreprise contre cette puissance serait un casus fœderis qui nécessiterait une intervention armée. L’Autriche, qui a signé récemment un traité de commerce avec l’Angleterre, serait invitée à souscrire à cette alliance, et à en accepter les conditions. On espérerait soustraire ainsi la Servie, la Moldavie, la Valachie à l’influence de la Russie. Un journal doctrinaire reproduit aujourd’hui ces vues, et il est permis de regarder les réflexions de cette feuille comme la suite et le développement du discours prononcé par M. Janvier. D’après ces vues, la Porte serait comprise dans l’alliance, qui serait quadruple, si l’Autriche y accédait. L’ouverture des Dardanelles en serait la première condition, car les