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de soie, ses glaces, ses parfums, son horlogerie et — son esprit. Partout on se bat à coups de traités, de concurrence, de prohibitions, et la guerre n’a de trêve, çà et là, que par quelques lois de transit. Il n’y a rien de plus, rien de moins dans la question d’Orient ; mais les choses n’en sont pas moins très graves.

L’Angleterre, monsieur, a vu, sans s’émouvoir, Napoléon chercher la route des Indes. Il essaya d’abord de se la frayer à travers les Mamelucks ; mais l’affaire n’ayant pas réussi, il y revint dans d’autres circonstances, avec la ténacité du génie, et, je le répète, ce n’est pas là ce qui occupa le plus l’Angleterre, qui songeait plutôt alors à faire entrer ses denrées dans les ports de la Baltique, sous toutes sortes de pavillons. Cependant les mesures étaient bien prises. Quelque temps avant la fatale campagne de 1812 (fatale pour vous), Napoléon envoya en Perse, avec une apparence scientifique, mais avec un titre politique, un de ses officiers, le général Gardanne. Quelques savans l’accompagnaient, entre autres M. Lajard, de l’Académie des Belles-Lettres et Inscriptions ; mais au milieu d’eux figuraient des officiers de génie et d’artillerie très propres à remplir le but véritable de la mission. Un de vos meilleurs députés, le général Lamy, ainsi que MM. d’Adad, Robert, Verdier, Bontems, Guidard, Marion, complétaient le personnel de la mission, dont les têtes intelligentes s’élevaient au nombre de quatorze. Le général Gardanne, établi à Téhéran, expédiait ses dépêches par la voie de la Russie. Il envoya à Paris des cartes et des plans relevés par ses officiers, d’après lesquels il traçait la marche d’une armée de 70,000 hommes. Le trajet devait être de cent dix-neuf jours. La ligne tracée passait par Pialuzbarskaïa, Tzaritzin et Astrakan, à l’embouchure de la Volga. De là elle s’étendait au point opposé de la mer Caspienne qui est Astrabad, d’où Napoléon comptait se rendre dans l’Inde en quarante-cinq jours de marche. Ces plans, placés dans les fourgons de l’empereur pendant l’expédition de 1812, tombèrent avec d’autres objets entre les mains des Russes. La lunette de bataille et l’épée impériale furent placées dans le musée d’armes de Tzarskœ-Zelo ; mais les notes et les plans du général Gardanne furent portés aux archives d’état-major à Saint-Pétersbourg où ils sont encore, sans doute. Or, il n’y a pas loin de Saint-Pétersbourg à Moscou, qui était la première étape de la route de Napoléon vers Delhi et Agra.

Si nous avons pu voir sans trop nous alarmer Napoléon, qui était un très médiocre commerçant (merchant), chercher la route de nos Indes, nous ne serions pas aussi calmes en face d’un semblable projet