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ciers de sa chambre ont pris la fuite. Son lit a été pillé, et on n’a pas même eu la triste pitié de lui laisser sa boîte de poison. Y aura-t-il du moins un gladiateur pour le tuer ? Il ne s’en trouve pas. « Je ne puis donc, s’écrie-t-il, trouver ni un ami ni un ennemi ! » C’est bien le mot de Suétone : le monde le quitte.

Il faut expliquer cette catastrophe dernière. Celui qui renverse Néron n’est ni Vindex, ni Galba ; c’est un ignoble personnage, — bâtard, disait-on, d’une courtisane et d’un gladiateur, selon lui, de Caligula : — Nymphidius, devenu préfet du prétoire pour avoir aidé à la découverte de la conspiration de Pison. Cet homme se mit en tête de terminer une lutte dont l’issue était encore douteuse. Il comprit que les soldats devaient se dégoûter un peu de cet empereur fugitif, et ne pas tenir beaucoup à verser leur sang pour sa royauté égyptienne. Il leur persuada que Néron était déjà parti, se fit de son chef le mandataire de Galba, promit en son nom 30,000 sest. à chaque prétorien et 5,000 à chaque légionnaire, ce qui, au compte de dix mille prétoriens et de cent vingt mille légionnaires seulement, faisait une somme de 180,000,000 francs : promesse impossible à tenir, que Galba n’avait pas faite, et que pourtant il paya de sa vie.

Les prétoriens, seule force de l’empire, quittèrent donc leur maître. Pour ce qui me reste à dire, je citerai Suétone. Il est bon de juger de son style, et de voir si l’on peut accuser de partialité ce procès-verbal écrit avec tant de minutie et d’indifférence.

« Néron voulut se jeter au Tibre ; mais il s’arrêta, et comme il désirait, pour se recueillir, un lieu un peu plus retiré, Phaon, son affranchi, lui offrit sa maison hors de la ville, entre la voie Salaria et la voie Nomentana, vers le quatrième mille. Il était nus-pieds et en tunique ; il revêtit une pœnula de couleur terne, mit un mouchoir devant sa figure, et monta à cheval, accompagné seulement de quatre hommes, dont l’un était Sporus. Déjà effrayé par un tremblement de terre et par un éclair qui se montra devant lui, il entendit, en passant auprès du camp, les cris des soldats qui le maudissaient et faisaient des vœux pour Galba. Un passant même vint à dire : « Voilà des gens qui poursuivent Néron ! » et un autre leur demanda : « Quelles nouvelles y a-t-il à Rome de Néron ? » L’odeur d’un cadavre jeté sur la route effraya son cheval ; ce mouvement découvrit sa figure, et un ancien soldat du prétoire le reconnut et le salua. Arrivés au lieu où il fallait quitter la route, ils abandonnèrent leurs chevaux au milieu des buissons et des épines, et ce fut à grand’peine que, par un chemin semé de roseaux et en étendant ses habits sous ses