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contre Vindex, enfin un message intercepté, par lequel Néron donnait ordre de l’assassiner. Dès-lors les oracles et les prodiges ne manquèrent pas, selon l’habitude de ce siècle, pour l’encourager dans son entreprise. Il n’avait qu’une légion, mais il comptait, comme Vindex, sur le mouvement national. Comme lui, dans une assemblée de la province, en face des images de ceux que Néron avait fait périr, il harangua le peuple, envoya des proclamations par toute l’Espagne, leva des légions espagnoles, forma un sénat d’Espagnols, et fit mettre aux portes de sa chambre une garde de chevaliers. C’était une Rome ibérique qui se soulevait contre la vieille Rome.

L’éveil était donné, le secret de l’empire trahi ; on apprenait qu’un empereur pouvait se faire ailleurs qu’à Rome[1]. Tout l’Occident s’agite ; des généraux qui avaient repoussé et même trahi de précédentes insinuations de Vindex, à la nouvelle du mouvement de Galba, se lèvent pour être ses auxiliaires ou ses rivaux. Othon, en Lusitanie, se joint à Galba ; homme de cour, Othon prête à Galba sa vaisselle et ses esclaves, plus dignes d’un empereur. Rome en était au point que cette pompe fût un accessoire obligé de l’usurpation.

Pendant ce temps, que faisait Néron ? À la première nouvelle, il s’est peu ému. Il était à Naples, sa bonne ville ; il a tressailli de joie à l’idée du pillage des Gaules ; il est allé voir des athlètes. — Les nouvelles sont plus graves ; il ne s’inquiète pas encore, reste huit jours sans donner un ordre ni faire une réponse. — Rome est remplie de proclamations injurieuses de Vindex. Néron écrit cette fois au sénat qu’il ne peut venir, parce qu’il a mal à la gorge, et qu’il endommagerait sa belle voix ; que d’ailleurs Vindex est bien sot de l’appeler « mauvais musicien, » lui qui a donné tant de soins et d’années à cet art ; que chacun peut voir si personne chante mieux que lui ; que l’absurdité de ce reproche doit faire mesurer la valeur des autres. — Les nouvelles sont plus inquiétantes encore : il part pour Rome ; mais, sur la route, un bas-relief qu’il rencontre, et qui représente un Gaulois traîné aux cheveux par un Romain, lui semble un présage favorable ; il oublie ses craintes, saute de joie, envoie un baiser au ciel. Arrivé à Rome, il délibère quelques instans avec les principaux du sénat, puis il passe le reste du jour à leur montrer un orgue hydraulique d’invention nouvelle : « Nous entendrons cela sur le théâtre, dit-il, avec la permission de Vindex. » — Mais survient la grande nouvelle : Galba s’est révolté ! Cette fois Néron tombe comme mort,

  1. Tacit., Hist., I, 4.