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LES CÉSARS.

fut servile, adulateur, sanguinaire par lâcheté, tandis que, courageuse à ne pas verser le sang, la chambre des pairs est notable par un caractère de moralité, cette différence n’est que la mesure exacte de la différence qui existe entre cette époque et la nôtre. Nous méprisons le sénat romain, et notre vertu le condamne : le sénat romain était cependant honoré de son siècle ; il était le symbole de ce qu’il y avait encore de moralité par le monde. Se rapprocher de lui était signe de vertu chez un empereur ; le menacer, indice de despotisme. Comme celle de Sénèque et de Burrhus, sa probité lâche et imparfaite, conseillère honnête des princes aux jours de leur vertu, gémissante et peureuse adulatrice en leurs mauvais jours, fut encore à cette triste époque le triste drapeau des honnêtes gens.

Restent maintenant les provinces ou plutôt les légions, car toute puissance était dans la force matérielle : elle seule, grâce à l’absence de communauté entre les hommes, vivait, pensait, délibérait ; Rome, c’étaient les prétoriens ; les provinces, c’étaient les légions. Au commencement de chaque règne, il y avait un instant de faveur pour les provinces. Tant de spoliations avaient existé, que la poursuite en était, pour le nouvel empereur, un facile moyen de se rendre populaire. Les procès contre les magistrats déprédateurs remplaçaient au sénat les procès contre les ennemis de César ; et Tibère, qui fonda en même temps toutes les traditions impériales, se fit du soulagement des provinces un moyen de succès, comme, des accusations contre les spoliateurs, une transition à ses terribles accusations de majesté. Mais, à mesure que le vertige impérial montait à la tête du prince, la peur et la volupté, l’argent à répandre et les têtes à faire tomber, firent d’abord négliger, puis opprimer les provinces. On sacrifiait facilement les intérêts éloignés aux passions plus voisines, la Gaule ou l’Espagne au peuple de Rome, les légions aux prétoriens. Quand on avait ajouté aux spectacles et à la paie, que le peuple au théâtre et les cohortes au camp criaient bravo, on se croyait en sûreté.

Les provinces n’étaient pas à la hauteur de la servilité romaine. Tacite nous peint un provincial, homme simple, qui arrive au spectacle à Rome pendant que chante César, reste tout étonné de cet empereur qui joue un rôle et de ce peuple qui l’applaudit, se perd au milieu de cet enthousiasme discipliné, laisse tomber ses mains de fatigue, crie quand il faudrait se taire, se tait quand il faudrait crier, trouble les chefs de claque, et reçoit les coups de canne des centurions[1].

  1. Tacit., XVI, 5.