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bats où il n’a point combattu ; il les admet à sa table, et chante devant eux. Ingénieux et servile, l’esprit grec sait trouver encore des formes d’adulations nouvelles quand Rome croit les avoir toutes épuisées, et Néron, enchanté, s’écrie : — Seuls les Grecs savent entendre, seuls ils sont dignes de mes talens et de moi ! — Une fois déjà il a été sur le point de partir pour la Grèce : il parcourait les temples, faisant ses adieux à ses parens les immortels, lorsqu’il s’assit, et, saisi d’une faiblesse subite, ne put se lever qu’avec peine ; effrayé de ce présage, il déclara qu’il lui en coûtait trop de s’arracher à l’amour de son peuple. Aujourd’hui quel présage troublerait sa félicité ? Son affranchi Helius sera assez bon pour gouverner Rome, et suivre tranquillement la voie toute tracée des proscriptions. Helius a tous les pouvoirs de Néron, il versera le sang ; Polyclète s’emparera des biens ; Rome peut se consoler de l’absence de César. — Que la Grèce donc se réjouisse, son prince lui arrive ! Ce n’est pas seulement ce cortége habituel de mille voitures, ces buffles ferrés d’argent, ces muletiers revêtus de magnifiques étoffes, ces coureurs, ces cavaliers africains avec leurs riches bracelets et leurs chevaux caparaçonnés ; c’est de plus une armée entière assez nombreuse pour vaincre tout l’Orient, soldats dignes de leur général, qui ont pour arme la lyre du musicien, le masque du comédien, les échasses du saltimbanque. — Que la Grèce se réjouisse ! Un hymne chanté par Néron vient de saluer son rivage ; le maître du monde lui donne toute une année de joies et d’incessantes fêtes ; les jeux d’Olympie, les jeux isthmiques, tous ceux qui se célèbrent à de longs intervalles seront réunis dans ces douze mois ; Néron peut bien changer l’ordre établi par Thésée et par Hercule.

Ainsi il parcourt toutes ces saintes villes homériques servilement abaissées aujourd’hui sous la royauté d’un Osque ou d’un Sabin. Il s’élance dans toutes les lices, prend part à tous les combats, toujours vainqueur ; même à Olympie, où, sur un char traîné par dix chevaux, le maître du monde s’est d’abord laissé tomber dans la poussière, puis, remis sur son char, s’est trouvé trop ému de sa chute pour continuer la lutte, il n’en a pas moins, à la fin de la course, proclamé, comme d’ordinaire (car il est lui-même son héraut) : « Néron César vainqueur en ce combat donne sa couronne au peuple romain et au monde qui est à lui ! » Ni aujourd’hui, ni dans le passé, Néron ne doit avoir de rival : les statues des vainqueurs d’autrefois sont renversées, traînées dans la boue, jetées aux latrines. L’athlète Pammenès, après de nombreuses victoires, vit retiré, vieux et affaibli ; que Pammenès reparaisse dans la lice : Néron prétend lui disputer ses cou-