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LES CÉSARS.

débauchés de Rome, la femme n’a rien à vous envier ; elle, qui aux temps antiques ne paraissait pas au festin, veillera pour l’orgie comme vous, s’enivrera comme vous, provoquera comme vous cet ignoble vomissement que vous a enseigné l’intempérance ; comme vous, déchirant à coups de fouet le corps de ses malheureuses esclaves, au milieu des soins de sa toilette, elle appellera le bourreau pour les châtier. Elle veut tout ce qui vient de vous, jusqu’à vos misères. Hippocrate se trompait lorsqu’il attribuait des châtimens privilégiés à l’intempérance des hommes ; la femme n’échappe pas plus que vous à la calvitie ni à la goutte. Des faiblesses de son sexe, en est-il une qu’elle n’ait pas secouée ? Honteuse de sa fécondité, elle cachera sous les plis de sa robe le vulgaire fardeau de son sein ; ce n’est pas assez, elle lui donnera la mort. La voulez-vous au théâtre ? elle y monte ; dans l’arène ? l’y voici ; l’épieu appuyé sur sa poitrine découverte, elle attend le sanglier[1].

Mais, tandis que le sang impérial coulait ainsi, sang privilégié, affaires domestiques auxquelles le peuple n’avait pas l’indiscrétion de se mêler, Néron laissait l’empire à Sénèque et à Burrhus, négligeant assez les affaires de l’état pour les abandonner aux honnêtes gens. Après le meurtre d’Agrippine même, il eut une recrudescence de popularité : il rappela d’exil les disgraciés de sa mère, éleva des tombeaux à ses victimes, faisant ainsi étalage des cruautés d’Agrippine. Trois ans après le matricide, Thraséa lui-même louait ce gouvernement qui avait aboli le lacet et le bourreau ; Rome, qui avait souffert Séjan, Tibère, Caligula, Claude, Messaline, Agrippine, ne devait pas se montrer difficile en fait de miséricorde et de clémence.

Cependant le caractère impérial se développait. Ce caractère avait son côté élégant, artiste, civilisé, ses prétentions au talent et ses ambitions innocentes. Caligula, quelque fou qu’il put être, ne fut ni un génie oisif, ni une intelligence éteinte. Néron était trop empereur pour ne pas avoir tous les goûts de son siècle. Poète, il rassemblait chez lui tous les beaux esprits du temps, qui venaient dans ces soirées littéraires apporter chacun son hémistiche, et de ces hémistiches réunis il composait ses poèmes ; orateur, il se fit décerner la palme de l’éloquence (sans concours, il parlait trop mal) ; philosophe, il appelait les stoïques à sa table et se divertissait de leurs disputes ; que sais-je ? il était peintre, sculpteur, joueur de lyre ; bien mieux, il était cocher. Ses manies d’artiste rendaient-elles Néron plus

  1. Tacite, Annal., XV, 32. — Juvénal, VI. — Suéton., Domit., 4. — Stalius, I. Silv.Mart., I.