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ÉTAT MORAL DE L’AMÉRIQUE DU NORD.

de leurs demeures, défrichent le terrain, et dès que l’établissement prospère, ils le vendent à des compatriotes moins entreprenans qu’eux, et vont en former un nouveau plus loin, pour le vendre ensuite à d’autres. Bientôt la lutte entre eux et les Indiens commence ; on s’attaque dans de légères escarmouches ; des traités surviennent. C’est là que l’Américain attend sa victime. Des sociétés de commerce, organisées pour ce but exécrable, achètent des Indiens les peaux de leurs animaux, et leur donnent en échange le poison qui doit les corrompre d’abord, et plus tard les détruire. Vainement, dans la crainte du malheur qui les menace, ils cherchent à se prémunir contre les funestes effets de l’eau-de-vie qu’on leur vend. On la leur donne à si bas prix et en si grande abondance, qu’ils ne peuvent résister à la tentation qui vient en quelque sorte les chercher. Quand ils commencent à s’abrutir, on gagne leurs chefs, et on achète leur trahison ; puis en vertu des traités qu’on leur a extorqués par la ruse, on les chasse plus loin, en leur promettant de ne plus les troubler dans la possession du territoire qu’on leur laisse. Mais une longue expérience ne leur a que trop appris quelle confiance ils peuvent avoir dans ces promesses et dans les traités qui les ont sanctionnées. Les missionnaires catholiques agissaient et agissent encore aujourd’hui bien autrement. Dans les paisibles missions du Canada, ces apôtres de la civilisation chrétienne ne souffrent aucun cabaret dans les villages habités par des Indiens convertis. Faut-il s’étonner, après cela, que le nom des Français soit encore en vénération parmi ces pauvres tribus ; que l’Indien aime à parler notre langue, tandis qu’il feint souvent d’ignorer la langue anglaise, qui lui est devenue odieuse ? Les Anglais détruisent la race indigène, les Français s’unissaient à elle par des mariages, d’où il est résulté une population remarquable par son esprit entreprenant et par un merveilleux accord des qualités les plus précieuses. Cette conduite des Américains est d’autant plus barbare, que les tribus indiennes qu’ils ont rencontrées sur leurs pas étaient de toutes les mieux disposées à recevoir les bienfaits de la civilisation, tandis que la plupart des tribus que les peuples catholiques du midi de l’Europe ont trouvées sur leur route étaient généralement bien plus arriérées. Et pourtant ici il y a eu mélange et fusion, là abrutissement et destruction. Bien plus, les jésuites dans leurs missions du Paraguay, après avoir fait des hommes des sauvages qui habitaient ces contrées, en avaient fait un peuple si admirable, que, de l’aveu de tout le monde, on ne vit jamais sous le ciel une société plus parfaite. Je tiens à constater ces faits, parce qu’ils prouvent la supériorité de la civilisation chrétienne sur la civilisation naturelle et intéressée des Américains, et aussi parce qu’ils font honneur à la famille de peuples à laquelle nous appartenons, à la nation française surtout, qui eut alors une si grande part dans le développement social de ces tribus.

Les Indiens une fois arrachés du sol, on y plante des nègres. Par une inconcevable bizarrerie, l’aristocratie la plus absurde, celle de la couleur et de la peau, s’est réfugiée dans le peuple qui a rejeté toutes les autres, même celle des lumières et du génie. Une haine aveugle et fanatique contre la couleur noire s’est emparée des blancs. N’y aurait-il qu’une goutte de sang nègre dans