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ÉTAT MORAL DE L’AMÉRIQUE DU NORD.

dans sa forme, et si arrêté dans ses contours. C’est une étude curieuse de suivre l’élément germain dans son développement historique et dans ses transformations successives en Angleterre ; de le voir, fluide d’abord, vague et indéterminé, commencer à prendre plus de consistance, en se mêlant à l’élément français après la conquête des Normands ; puis s’affiner et se préciser toujours davantage, jusqu’à ce qu’il prenne, dans les Yankee qui peuplent la Nouvelle-Angleterre, un degré de fermeté qui approche de la dureté et de la raideur. À son point de départ, le caractère germain semble tout entier concentré dans l’imagination ; la poésie est sa forme exclusive : mais une fois qu’il est arrivé à son développement, nous ne trouvons plus en lui qu’une volonté âpre et persistante, tournée tout entière vers le côté pratique de la vie, et courant à son but, sans se laisser jamais arrêter par aucun obstacle.

Les états planteurs de l’est forment le second groupe parmi les états de l’Union ; et ce que Massachussett est pour le premier, la Virginie l’est pour le second. Ces établissemens de l’Amérique du Nord, qui formeront bientôt peut-être un des plus puissans empires qui aient jamais existé, ont cela de particulier, que nous pouvons en quelque sorte assister à leur naissance et à leur développement. Le plus souvent leur histoire se confond avec celle d’un homme dont le journal forme leurs annales, et sera pour eux, dans la suite des temps, le titre authentique de leur origine. Ici, point de mythes ni d’allégories, point d’obscurités ni de mystères, mais la vérité simple et nue, claire et sans voiles. Ce que Winthrop a été pour Massachussett, le capitaine John Smith l’a été pour la Virginie. Ce sont les deux annalistes de l’Union. Mais la vie de ce dernier fut tellement aventureuse, et les évènemens dont elle se composa furent tellement extraordinaires, que le récit qu’il en fait rappelle les anciennes chroniques des peuples européens. La paix conclue par Jacques Ier avec l’Espagne laisse sans occupation un grand nombre de gentlemen pour qui la guerre était devenue comme un métier. Ne sachant que faire, ces pauvres chevaliers s’en vont chercher fortune dans le Nouveau-Monde. Ce n’est point un refuge contre la persécution qu’ils vont lui demander ; c’est de l’or. L’exemple des Espagnols et des Portugais les anime ; ils veulent devenir riches, et s’en retourner ensuite en Angleterre jouir des richesses qu’ils auront amassées. Le résultat fut ce qu’il devait être. Ces gentlemen, incapables de travailler pour se procurer les choses nécessaires à la vie, allaient succomber à la faim, aux maladies, aux incursions des sauvages, si la Providence ne leur eût envoyé le capitaine Smith, qui, après avoir promené sa vie errante à travers l’Europe, l’Afrique et l’Asie, vint donner une base à cette colonie naissante qui allait se dissoudre. Smith fait venir d’Angleterre des ouvriers et des laboureurs : les premiers colons, éclairés par l’expérience, renoncent à leur vie déréglée et oisive ; la communauté des biens est abolie, et l’ordre paraît enfin après le chaos. Telle est l’origine de l’état de Virginie, qu’on avait ainsi nommé pour honorer la virginité de la reine Élisabeth. L’élément aristocratique resta toujours empreint dans l’histoire de cet état. C’est là