Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/80

Cette page a été validée par deux contributeurs.
76
REVUE DES DEUX MONDES.

quoi M. de Lamartine n’a-t-il pas cédé à ce mouvement ? Pourquoi pas un peu d’ironie dès l’abord ? Cela eût relevé un peu l’éloge qui ne va pas moins, en vingt vers, qu’à comparer M. Adolphe Dumas à Horace, ce Béranger romain ! Je ne connais pas l’épître, mais il me paraît impossible que M. Adolphe Dumas ressemble à Horace ; il a de l’élévation, du mysticisme, du socialisme, des portions hautes et rudes de talent ; comparez-le à Dante le théologien, si vous le voulez absolument, ou à l’Eschyle du Prométhée encore, ou à Claudien, au pire,… mais à Horace ! Le poète le lui redit en vingt façons ; il croyait lire Tibur, à l’exergue de la bague (du cachet), mais c’était Eyrague ; la dureté du vers l’a puni de sa pensée.

Au milieu d’un paysage délicieusement décrit, dans l’oubli de toutes choses lointaines, et au sein amoureux de la nature, le poète reçoit donc l’épître de M. Adolphe Dumas, et lui répond que toutes ces critiques l’affectent peu, qu’il en faut prendre son parti, boire, sans murmurer, le nectar ou l’absinthe, et ne pas trop compter sur les réparations du siècle et de l’avenir :

Nous venger ? l’avenir ? lui, gros d’un univers ?
Lui, dans ses grandes mains peser nos petits vers ?…

Et ici, en beaux et grands vers que chacun a pu lire, revient l’utopie immense, trop immense, mais enfin bornée (il était temps) par une vive peinture de vie heureuse dans une bastide du Midi. Quel regret pourtant le poète me laisse au lieu du charme ! De quelle façon il traite ses vers en nous les prodiguant ! On voudrait qu’il crût, qu’il parût croire davantage à l’avenir de sa poésie : il compte si fort sur l’avenir en toutes choses ! Je concevrais Lucrèce parlant de la sorte ; l’épicurien Hesnault, qui a fait quelque épître sur ce sujet-là, peut marier son scepticisme poétique à tous ses autres scepticismes[1]. Mais M. de Lamartine n’est pas si dépourvu encore de belles illusions qu’on ne puisse lui souhaiter celle-là de plus, d’au-

  1. Ce poète Hesnault, camarade de collége de Molière, et qui avait du talent, du feu poétique, s’endormit dans la paresse, se berça dans l’épicuréisme, et, comme bien d’autres, manqua la gloire en n’y croyant pas. Selon lui, l’avenir a bien d’autres choses à faire que de s’occuper de nous, et, même quand il s’en occupe, ce n’est qu’une fausse apparence ; car n’est-il pas certain, après tout, s’écrie-t-il,

    Qu’Homère et que Virgile, autrefois si fameux,
    Mourront un jour pour nous, comme ils sont morts pour eux ?

    Ainsi, cette prétendue immortalité, en la supposant obtenue, n’est qu’une suite de naufrages et de morts ; ni ceux qui l’obtiennent, ni ceux qui la donnent, n’en perçoivent la durée persistante ; ce n’est, en quelque sorte, qu’un bout-à-bout continuel, une rallonge précaire, qui tôt ou tard manque : autant vaut la rompre en commençant.