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REVUE DES DEUX MONDES.

En atteindre les bords, sur ces bords trémousser ;
De gestes et d’accens ses petits caresser ;
Puis de l’œil, puis du bec, toujours prompt à repaistre
Leur innocente faim qui, comme eux, vient de naistre,
Flatter l’un, flatter l’autre, et leur faire sentir
De son tardif retour l’aymable repentir.

Saint-Amant la compare à une mère qui revient caresser son jeune enfant :

Et comme elle s’agite auprès du lit flottant,
Luy, de ses bras émus, tasche d’en faire autant.

Ce dernier trait est délicieux.

De tels vers ne sont pas d’un poète vulgaire ; et celui-là doit prendre place au nombre de ceux qui ont servi les progrès de la langue et perfectionné l’instrument poétique, qui, trente années après Dubartas, a su écrire avec cette élégance, cette harmonie et cette pureté. Tout cela ne fait pas le grand poète ; il manque à Saint-Amant la grandeur de la pensée, le sérieux de l’ame, la profondeur de la sensibilité, l’énergie du bon sens et la justesse du goût. Par quel abominable travers de jugement a-t-il imaginé de calquer Moïse sauvé sur l’Adone ; osant transformer le récit biblique en idylle, et plier un tel sujet à l’influence de l’Italie qui communiquait à l’Europe entière son enthousiasme pour le Pastor Fido et l’Aminta, pour cette bergerie chevaleresque et cette chevalerie au repos, qui a donné l’Arcadie de Sidney, la Diane de Montemayor, l’Astrée de Durfé, et qui est venue mourir dans la Galatée de Florian ! Esther et Bérénice se couronnent d’un rayon épuré qui émane de cette influence ; mais l’âme de Racine était tendre et profonde. Saint-Amant, au contraire, a pris à la mode du temps tous ses ridicules ; son plan est sans proportion, ses détails n’ont pas de fin. Il décrit, il décrit sans cesse : d’abord Memphis, ensuite l’Aurore, puis le berceau de Moïse. La fabrication de ce berceau est charmante ; il finit par l’appeler un lit ambigu. Il rend très bien la situation et les craintes des deux époux qui veulent sauver l’enfant prédestiné. Puis la femme le voit sourire :

Las ! dit-elle, tu ris, ô ma gloire dernière !
Tu ris, mon seul espoir, et tu ne connais pas
Que peut-être ta vie est proche du trépas !

On expose le berceau sur les eaux du Nil, et les perquisiteurs pénètrent dans la cabane pendant que d’autres bergers veillent près