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L’Abisme, au coup donné, s’ouvre jusqu’aux entrailles ;
De liquides rubis il se fait deux murailles,
Dont l’espace nouveau se remplit à l’instant
Par le peuple qui suit le pilier éclatant ;
D’un et d’autre costé, ravy d’aise il se mire ;
De ce fond découvert le sentier il admire ;
Sentier que la nature a d’un soin libéral
Paré de sablon d’or, et d’arbres de coral,
Qui plantez tout de rang, forment comme une allée
Estendue au travers d’une riche vallée,
Et d’où l’ambre découle ainsi qu’on vit le miel
Distiller des sapins sous l’heur du jeune ciel.
Là, des chameaux chargez la troupe lente et forte,
Foule plus de trésors encor qu’elle n’en porte ;
On y peut en passant de perles s’enrichir,
Et de la pauvreté pour jamais s’affranchir :
Là le noble cheval bondit et prend haleine,
Où venait de souffler une lourde baleine ;
Là passent à pied sec les bœufs et les moutons,
Où naguères flottoient les dauphins et les thons ;
Là l’enfant esveillé courant sous la licence
Que permet à son âge une libre innocence,
Va, revient, tourne, saute, et par maints cris joyeux
Témoignant le plaisir que reçoivent ses yeux,
D’un estrange caillou qu’à ses pieds il rencontre
Fait au premier venu la précieuse montre[1],
Ramasse une coquille, et d’aise transporté,
La présente à sa mère avec naïveté ;
Là, quelque juste effroy qui ses pas sollicite,
S’oublie à chaque objet le fidèle exercite ;
Et là, près des rempars que l’œil peut transpercer,
Les poissons eshahis le regardent passer.

Le rude bon sens de Boileau a raison de tourner en ridicule l’imagination enfantine de Saint-Amant, et cette vaine abondance de détails qui nuisent à la grandeur du tableau ; mais je doute que Boileau eût écrit les vers suivans :

L’onde, au sortir du roc, fraische, bruyante et vive,

  1. N’imitez pas ce fou, qui, décrivant les mers,
    Et peignant au milieu de leurs flots entr’ouverts
    L’Hébreu sauvé du joug de ses injustes maîtres,
    Met pour le voir passer les poissons aux fenêtres ;
    Peint le petit enfant qui va, saute, revient,
    Et joyeux à sa mère offre un caillou qu’il tient.