Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/790

Cette page a été validée par deux contributeurs.
786
REVUE DES DEUX MONDES.

vient bien à cette époque, qui fit Caton galant et Brutus dameret. Ici c’est pis encore : Moïse berger et la Bible enrubannée ! On voit qu’il veut plaire aux Pisani de l’hôtel Rambouillet. Il calque ses formes sur celles de Sannazar, cite Castelvetro et Piccolomini, ne tient, comme Marini, qu’à prouver la fécondité de ses inventions et la facilité de sa plume ; et, après avoir prodigué les traits brillans et les ingénieux détails, nous offre, en dernière analyse, une arabesque immense, chargée d’enroulemens inutilement légers. Les vers heureux abondent ; l’ensemble est puéril. S’il eût possédé un génie plus puissant et plus profond, quel parti n’aurait-il pas tiré de ses voyages et de cette connaissance intime qu’il avait formée avec les singularités de la nature ! Se jouer à la surface des images et des idées avec une ingénieuse adresse, voilà tout ce qu’il ose. Jamais son talent ne paraît sourdre des profondeurs de l’ame. Il a de l’harmonie et du nombre. Son trait est plein de finesse, mais aussi de manière. Il ennoblit les petits objets, il enjolive les objets vulgaires avec une coquetterie que l’école de Delille et de Legouvé a de nouveau mise en honneur parmi nous. Cette école descriptive n’a pas de meilleurs vers que ceux-ci :

On voit le dur marteau rebondir sur l’enclume,
Dans le poing qui l’étreint en bruyant retourner,
Et du cyclope noir le bras même étonner.

L’huile

Dégorge l’or liquide à filets onctueux.

C’est la manière d’Ovide, de Delille, de Darwin ; beaucoup d’invention dans les mots, d’esprit dans l’imagination, point de passion, un luxe de détails infinis, aucun sérieux dans l’ame du poète, une multitude de petits faits agréablement reproduits. Ici il dépeint une étoile qui file :

Un trait de feu qui comme une fusée,
Commençant sur le toit une ligne embrasée,
Avec sa pointe d’or les ténèbres perça,
D’un cours bruyant et prompt vers le Nil se glissa,
Fit loin estinceler sa flâme pétillante, etc.

Plus loin, c’est l’aurore naissante :

… Dès que par le temps la belle aube argentée
Fut du sein de la nuit comme ressuscitée ;
Sitost que sa lueur reblanchit l’horison,
Que le jour s’eschappa de sa noire prison ;