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RECUEILLEMENS POÉTIQUES.

sa conduite politique, dans l’opinion, un appui véritable et solide ; il finirait, en étant de plus en plus un poète incontestable, bien économe et jaloux de sa gloire, par triompher plus aisément sur les autres terrains, et par forcer les dernières préventions de ses collègues les plus prosaïques, même dans les questions de budget et dans le pied-à-terre des chemins vicinaux.

Nous n’aurions pas attaché tant d’importance à la préface, si le recueil la démentait absolument. Plusieurs pièces pourtant sont d’une grande beauté ; car ce n’est pas le talent du poète qui diminue en rien, veuillez le croire : il se poursuit, dans toute la largeur du souffle, dans l’entière puissance de la veine ; mais c’est l’emploi et l’écart de ce talent qui appellent une sorte de répression. Dès qu’on n’est plus inspiré par un sentiment souverain, impétueux, unique, qui décide et apporte avec lui l’expression ; dès qu’on flotte entre plusieurs sentimens, et qu’on peut choisir ; qu’on en est à redire les choses profondes, à exhaler le superflu des émotions nouvelles, il faut que le travail, l’art, ou, pour exiger le moins possible, un certain soin quelconque aide à l’exécution, et y ajoute, y retranche à l’extérieur par le goût ce que l’ame, tout directement et du premier coup, n’a pas imprimé. Or, M. de Lamartine fait craindre à ses admirateurs d’avoir de moins en moins du loisir pour ce soin, même le plus rapide, qui n’est que la toilette du matin de la pensée ; il s’en excuse, il s’y résigne plus vite que nous. Il s’ensuivrait formellement que la critique n’aurait plus rien désormais à faire avec lui ; c’est une manière complète de la récuser, de la déjouer. On avait déjà remarqué qu’un autre grand poète l’enfermait, la pauvre critique, dans un cercle étroit, inflexible, et la sommait d’y demeurer ou d’y venir, avec menace autrement de la rejeter. M. de Lamartine, par un procédé tout inverse, à force de lui donner raison d’avance et de lui faire beau jeu, lui ôte également toute prise et l’annulle. L’autre l’écrasait ; lui, il se dérobe : cela ne saurait se passer ainsi.

Une des plus jolies pièces du volume, l’épître à M. Adolphe Dumas, reprenant les idées de la préface, les redouble agréablement, et tend à consacrer tout-à-fait cette théorie de négligence et de laisser-aller indéfini que trop d’autres pièces confirment sans en parler. M. Adolphe Dumas, homme d’imagination généreuse et d’essor aventureux, écrivit, à ce qu’il paraît, à M. de Lamartine une épître pour le consoler du peu de succès de son Ange : c’était lui signifier ce peu de succès, et j’imagine que le premier mouvement dut être une légère impatience contre le consolateur malencontreux. Oh ! pour-