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REVUE DES DEUX MONDES.

« Là branle le squelette horrible
« D’un pauvre amant qui se pendit. »

Chez Boileau, la manière de concevoir l’art et la poésie a tout-à-fait changé ; c’est pour lui chose sérieuse et mesurée, métier bourgeois ; Saint-Amant l’aimait comme caprice, mouvement de l’esprit, fantaisie de soldat. Cherchez la poésie en dehors de ces deux erreurs. La forme pure ne lui suffit pas, ni la violence effrénée d’une libre saillie. Dans les vers de Boileau, l’harmonie de l’ensemble et des détails est obtenue, mais l’inspiration est faible ; dans les caprices de la poésie sous Louis XIII, le désaccord est effroyable, mais l’instrument est puissant. Si cette jouissance suprême que donne la Muse vous est chère et sacrée, fermez donc Boileau et Saint-Amant ; demandez à d’autres poètes une harmonie complète, un instrument énergique, vaste et divin. Combien d’intelligences distinguées sont cependant incapables de comprendre le différent caractère des génies, la succession des générations et les diversités des esprits, d’apprécier la valeur imprimée à la raison froide par le sévère travail de Boileau, et de découvrir sous la cendre et les décombres de Saint-Amant la trace de ce vif génie qui s’est inutilement consumé ! Grâce à la concentration de la forme et à l’habileté puissante d’un labeur dirigé par le goût, Boileau restera : Saint-Amant n’est pas même une ombre. La faculté qui discerne, classe, ordonne, polit, s’impose des sacrifices, manquait à sa vie comme à ses œuvres.

Que de talent cependant, de verve, de facilité, de bonnes rimes ! Comme on sent, à travers ses fautes, l’haleine du poète-né ! Les vers les plus audacieux de notre langue appartiennent à ce gentilhomme nomade :

Je considère au firmament
L’aspect des flambeaux taciturnes ;
Et voyant qu’en ces doux déserts,
Les orgueilleux tyrans des airs
Ont apaisé leur insolence,
J’écoute à demi transporté
Le bruit des ailes du Silence
Qui vole dans l’obscurité.

Ces deux vers sont plus poétiques et plus raisonnables que le vers célèbre de l’abbé Delille :

Il ne voit que la nuit, n’entend que le silence !

La personnification du Silence, chez Saint-Amant, est d’une admi-