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LES VICTIMES DE BOILEAU.

caressées par la douce tempête des éventails, l’air de sa chambre renouvelé sans cesse par des parfums différens, ses molles rêveries, sous des bosquets d’orangers, au murmure de douze fontaines, surtout ses repas délicats faits d’oiseaux engraissés avec du sucre. Voilà ce que le philosophe a observé dans la capitale de la chrétienté. Ces moralistes prétentieux, ces artistes qui cherchaient la forme minutieuse ou la saillie extravagante, — bouffons poètes, peintres ambassadeurs, prêtres histrions, ecclésiastiques émeutiers, femmes qui signaient Gradafilée et qui écrivaient la Carte de Tendre, gens graves qui, à l’instar de Balzac, s’intitulaient grands maîtres dicendi et cœnandi, seigneurs absorbés dans l’huile de jasmin, les rubans d’Angleterre et les gants de frangipane, personnages remuans d’ailleurs et qui jouaient leur rôle dans des intrigues hasardeuses, — devaient s’évanouir comme des ombres à l’apparition du monde sérieux et noble dans lequel se dessinèrent les figures de Pascal, de Bossuet et de Racine. Le grotesque et la débauche n’eurent plus qu’un seul représentant, Scarron ; Scarron, homme d’esprit, épousa Mlle d’Aubigné, la décence et la réserve même. On consentit à peine à reconnaître le génie comique de Molière dans ses admirables farces ; Scapin ne trouva pas grâce aux yeux de Boileau. Voici venir la suprême régularité, l’abus de l’ordre dans la littérature, quelque chose de semblable à un despotisme bien organisé. Certains retardataires essaient une opposition impuissante ; les admirateurs de l’Italie et de Marini, de l’Astrée et de l’Espagne, de Ronsard et de l’ancienne école, derniers partisans des coups d’épée de Clélie et des badinages de Voiture, débris de coteries anciennes, Benserade, Scudéry, Boursault, Pradon, Cotin, Perrault, soutenus par Mme Deshoulières, Mme de Lafayette et Mme de Sévigné, soulevèrent leur étendard contre l’école savante, réglée, majestueuse, que Louis XIV ne se contente pas de protéger ; il la mène au combat ; Racine et Boileau sont ses capitaines.

Ne croyez pas que Boileau fût aveugle sur le talent naturel de Saint-Amant : il dit, dans sa sixième réflexion sur Longin : « Ce poète avait assez de génie pour les ouvrages de débauche et de satire outrée : il a même quelquefois des boutades assez heureuses dans le sérieux ; mais il gâte tout par les basses circonstances qu’il y mêle. C’est ce qu’on peut voir dans son ode intitulée la Solitude, qui est son meilleur ouvrage, où, parmi un fort grand nombre d’images agréables, il vient présenter mal à propos aux yeux les choses du monde les plus affreuses, des crapauds, des limaçons qui bavent, le squelette d’un pendu, etc.