Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/767

Cette page a été validée par deux contributeurs.
763
LES VICTIMES DE BOILEAU.

et le meurtre de Concini, pouvaient-ils faire mieux ? J’en doute. Ils vont bientôt se précipiter dans la fronde, pour se désennuyer tout simplement. Leur poésie n’est pas une poésie de gens sérieux. Sous Ronsard, du moins, l’effort du pédantisme, voulant régénérer la littérature, avait la gravité de la science et la noblesse du labeur. Mais lorsque Viaud, Faret, Théophile, Sigogne, Saint-Amant, profitant des tentatives rhythmiques de leurs pères, n’exprimèrent, en définitive, que la débauche, la fantaisie, la licence et l’incurie, ils préparèrent la réaction de 1660, le triomphe d’une raison trop timide sur une audace trop libertine, la répulsion et le dégoût qui devaient suivre l’excès du caprice et placer la couronne sur le front sévère de Boileau.

Un mépris sans mélange serait injuste. Ces libertins et ces gastronomes poétiques ont contribué au progrès intellectuel de la France. Par eux, la poésie s’est mêlée enfin au mouvement des choses humaines ; leur muse a vu la guerre ailleurs que chez Virgile ; elle a fait l’amour pour son compte, Pascal, Molière et Racine s’en souviendront. Épouvantés d’un exemple si frappant et d’une décadence si complète, les écrivains de Louis XIV ne hasarderont rien ; mais ils puiseront aussi dans l’observation et la passion ces pensées vivantes que Ronsard et Baïf n’avaient pu demander au calque des formes grecques et à l’étude obstinée d’une littérature sublime et morte. Les plus grands entre les successeurs de Théophile et Saint-Amant se renfermeront dans une convenance sévère et dans une dignité grave. La liberté perdra quelque chose, étouffée par la rigoureuse majesté de la monarchie. Peu d’écrivains cueilleront les palmes suprêmes de l’art, la spontanéité dans la pureté, l’indépendance et l’audace tempérées d’harmonie, l’intime sympathie avec tous les intérêts de l’humanité, jointe au sentiment de l’ordre, qui est la beauté divine. Il était dans les destinées intellectuelles de la France, comme dans ses destinées politiques, de quitter l’anarchie pour la servitude.

Je reviens à ce bon gros Saint-Amant, qui « l’épée d’une main et le rebec de l’autre » se met à courir la terre et les mers, entre le rond et le vieux, entre un pilier de cabaret et un héros. Cazal est secouru. Saint-Amant se trouve là, se bat bien, comme son maître ; puis il chante encore, il essaie une forme plus grave et plus parée ; c’est le sonnet, perle lyrique dont nos aïeux étaient épris ; perle rare, mais qui n’est rien, si elle n’étincelle transparente et pure :

Jusqu’aux cieux, ô Cazal, pousse des cris de joye ;
Te voilà garanti d’un éternel affront.