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il savait beaucoup sur les hommes et les choses. Faire la guerre et l’amour, mener la plus fringante vie d’aventure, amuser la romanesque princesse de Gonzague, plaire à la grande Christine, deviner l’italien et l’espagnol, être un peu Falstaff et un peu don Quichotte ; paraître à la cour, hanter le cabaret, vivre dans un grenier, visiter les quatre parties du monde, et finir par expirer sans feu et sans lumière, sur le grabat de son taudis, rue de Seine, ne laissant après lui que son feutre, son épée, sa bouteille vide et deux volumes mal imprimés, voilà tout Saint-Amant. Qu’en dites-vous ? N’est-ce pas une des bonnes figures de ce temps semi-héroïque dont Gallot est le représentant ?

Les Christine, les Marie de Gonzague, les Mlle de Montpensier, conviennent à Saint-Amant. Il les flatte, il les loue, il vit pour elles. Il dédie à Christine son principal ouvrage, une idylle héroïque. Toute la société du coadjuteur et de la fronde roule autour de lui. Pour amis, il a ces mauvais garçons du XVIIe siècle, qui ne peuvent ployer leur indiscipline à la règle nouvelle ; sensuels, bachiques, aventureux, amusans, facilement amusés ; pour lesquels Mme de Sévigné n’est pas sans faiblesse, et qui se détachent en arabesques d’or sur le fonds sévère de la société naissante à la voix de Louis XIV. Malherbe, inquisiteur de la grammaire, les avait fort gênés. Boileau, le grand-prévôt littéraire, aiguisait sa hache et mesurait ses forces pour les tuer. Malherbe et Boileau, esprits secs et rigoureux, vinrent demander compte de leur liberté aux Théophile Viaud, aux Sigogne, aux Saint-Amant, aux Voiture, aux Faret, aux Boisrobert, et leur dirent : « Où sont vos chefs-d’œuvre ? Avec votre mignardise italienne, votre rodomontade espagnole, vos saillies bizarres, vos boutades éperdues, votre facilité folle, qu’avez-vous produit ? » — Ceux-là, doués de tant de verve, de force, d’élan, bons rimeurs, spirituels, plaisans, quelques-uns poètes, n’avaient rien à répondre. Ainsi le cardinal de Retz, interrogé par l’histoire, ne peut lui apporter comme trophée un seul résultat politique. Il ne lui reste que son nom et ses Mémoires ; il a tout brouillé sans rien conquérir. Sa fertilité d’expédiens l’a conduit à la banqueroute de sa fortune.

On aimerait à réhabiliter complètement les vaincus de l’histoire, Retz, Saint-Amant, Concini, Théophile ; attendre le succès pour formuler son jugement, c’est bassesse d’esprit. Barbouillées de ridicule par la lie de deux siècles, vous avez pitié des victimes de Boileau ; elles sont assez punies ; qui oserait outrager de nouveau les pauvres cadavres de tant de gloire délabrée ? Mais, cette pitié une fois accor-