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REVUE. — CHRONIQUE.

— Quand on n’est pas abonné au Journal de la Librairie, il est fort utile de suivre les séances publiques de l’Académie Française, car il y a là quelque concurrence pour M. Beuchot. Seulement le savant bibliographe se borne à inscrire le nom des ouvrages obscurs et morts en naissant, tandis que l’Académie se charge de les couronner. Rien donc au fond de plus ennuyeux qu’une séance académique. Des prix donnés à de médiocres livres que personne ne connaît, de mauvais et prétentieux vers très mal dits, l’uniforme récit de traits de dévouement fort estimables, mais très peu littéraires, c’est là le programme ordinaire de la réunion que la première classe de l’Institut veut bien accorder chaque année au public. Il est vrai que, depuis la mort de M. Arnault, la verve spirituelle et l’incisive parole de M. Villemain suffisent à animer ces séances. En ces dernières années, on n’est guère allé à l’Académie Française que pour entendre les malices finement dites, le langage délicatement nuancé, les tours agréablement moqueurs et les appréciations brillantes du secrétaire perpétuel. Jeudi dernier, la présence de M. Villemain, devenu ministre de l’instruction publique, et resté en même temps secrétaire perpétuel, avait un nouvel attrait de curiosité piquante. M. Villemain a eu l’adresse de rester académicien, et de ne point montrer, sous l’habit de l’Institut, la robe du grand-maître. Chacun a reçu sa part des courtoises épigrammes, les lauréats et l’Académie. Tous deux le méritaient : l’Académie, par ses ridicules traditions de concours poétiques ; le lauréat, Mme Louise Colet, par ses vers prétentieux et ses madrigaux pindariques. Le sujet proposé était le Musée de Versailles, et un grand nombre de pièces avaient été adressées au secrétariat. À en juger par le morceau couronné, les autres odes devaient être plus que médiocres ; et, comme l’a dit ingénieusement M. Villemain, elles ressemblaient à quelques tableaux du musée qu’elles célèbrent, ajoutant au nombre, sans ajouter à l’éclat du concours. Bien que l’Institut ne soit pas le Capitole, le rôle de Corinne avait séduit Mme Colet, qui voulait réciter ses vers elle-même. M. Villemain lui a très spirituellement objecté que la règle inflexible de l’Académie ne permettait dans cette enceinte que la séduction du talent et l’ascendant gracieux des beaux vers. Si cela est exact, M. Villemain aurait dû dire pourquoi l’Académie a couronné les vers de Mme Colet. Ces vers ont été dits et très mal dits par M. Viennet ; si M. Viennet pouvait parodier M. Hugo, on eût cru la pièce de lui. Toutefois, il est juste d’ajouter que l’auteur de la Philippide a pris sa revanche personnelle par la lecture de quelques fables vraiment spirituelles et sincèrement applaudies. Mais les honneurs de la séance ont été pour M. Villemain ; on a aimé à retrouver l’homme d’esprit dans le ministre, et cela a semblé de bon augure pour cette politique à laquelle aspirait depuis long-temps M. Villemain. On s’est dit que l’écrivain qui savait se montrer contradicteur poli et indépendant à l’Académie, voudrait peut-être aussi, dans l’Université, tout en respectant les traditions, se débarrasser des préjugés et songer au progrès réel et sérieux. Mais, à l’Institut, il suffit de phrases élégantes, tandis qu’au ministère il faut des actes. C’est là que nous attendons M. Villemain.