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d’avantages matériels que lui donne la paix ? Nous en doutons, car ce serait confier à des hasards ce que le temps lui réserve plus sûrement ; et la Russie s’est montrée jusqu’à ce jour au moins aussi intelligente de ses intérêts que peut l’être l’Angleterre.

Il est cependant des résultats que toutes les sagesses humaines ne peuvent éviter ni prévoir. Il y a bien loin de Byr et de Malatia à Constantinople, et même, en suivant sa première route, Ibrahim-Pacha ne franchira pas les pachaliks d’Alep, d’Adana, le Taurus, la Karamanie et l’Anatolie, avant que les puissances européennes n’aient eu le temps de prendre leurs mesures ; mais ce qu’on a l’espoir d’éviter aujourd’hui arrivera peut-être un jour. La Russie sera peut-être obligée ce jour-là de protéger Constantinople, c’est-à-dire d’occuper le Bosphore, et l’Angleterre se trouverait peut-être disposée, en pareil cas, à protéger aussi, à sa manière, le sultan, en s’emparant des états de son ennemi et en s’établissant dans la Basse-Égypte, cette plage commode qui s’étend de la Méditerranée à la mer Rouge. Que ferait alors la France ?

Nous nous plaisons à croire que cette question a déjà été faite dans les conseils de la France, et qu’une détermination a été prise. La France ne peut errer en Orient sans plan et sans politique entre la Russie et l’Angleterre ; et dans le cas d’une démonstration décisive de la part d’une de ces puissances ou de toutes les deux, il y a, sans doute, une ligne à suivre, un principe à adopter d’avance. Ce principe doit être tout français. Sous la restauration, le rôle de la France eût été bien simple. Dans le cas de l’occupation de Constantinople, la France eût occupé l’Égypte. L’Égypte est un point important pour la France, et elle doit aussi y pratiquer un système de prépondérance ; mais l’alliance de l’Angleterre nous commande aujourd’hui plus de réserve, car l’alliance anglaise est, depuis neuf ans, la sauve-garde de la liberté en Europe : or n’eût-elle eu que ce seul résultat, la France aurait un intérêt vital à maintenir cette alliance. On ne doit pas perdre de vue cependant que l’Angleterre a un intérêt égal à conserver des rapports étroits avec la France. Agissons donc sur le pied d’égalité avec l’Angleterre, et que cette alliance ne soit pas un marché de dupes qui nous soumettrait à une enquête minutieuse de tous nos actes, à une surveillance jalouse, qui nous interdirait le droit de veiller partout nous-mêmes à nos intérêts, d’étendre nos rapports où bon nous semble, et qui irait jusqu’au contrôle du choix de nos agens, comme l’Angleterre s’est permis plus d’une fois de le faire ! L’accord parfait de la France et de l’Angleterre dans la question d’Orient sera d’un poids immense tant qu’il s’agira de faire face à la Russie ; mais l’Angleterre doit aussi s’imposer le devoir de ne pas faire dominer ses vues sur celles de la France en Égypte ; ou en pareil cas, la France doit faire ses réserves. Nous entendons sans cesse parler des frontières du Rhin comme du dédommagement qui attendrait la France. Les frontières du Rhin n’appartiennent ni à la Russie ni à l’Angleterre ; c’est une question qui intéresse à un haut degré l’Autriche, la Prusse et la confédération germanique ; et si, une fois l’Orient occupé par la Russie et l’Angleterre, on traitait cette ques-