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REVUE. — CHRONIQUE.

protégé par la Russie, s’il prend l’initiative des hostilités. Et comme il n’y a pas de traité du 8 juillet entre la France et le pacha d’Égypte, ni entre le pacha et l’Angleterre, aucun des contendans n’ayant à subir la protection d’une grande puissance, il se peut que la collision soit contenue dans le cercle étroit d’un pachalik ou deux, et arrêtée enfin par l’union des trois puissances.

Un publiciste distingué a fait une remarque qui est plus qu’ingénieuse, car elle est juste et profonde. Il a dit que la question d’Orient, telle qu’elle se présente aujourd’hui, est toute de prépondérance pour l’Angleterre et la Russie, et qu’elle ne changera de nature que si de fatales circonstances le veulent ainsi. Il y a long-temps que nous avions émis cette pensée. L’écrivain que nous mentionnons reconnaît que l’Angleterre, en plusieurs occasions, a témoigné peu de bienveillance au vice-roi d’Égypte ; il avoue qu’il serait facile, en rassemblant tous les faits, de supposer à l’Angleterre des projets ambitieux sur l’Égypte ; mais il ne croit pas que l’Angleterre cherche à s’emparer de l’Égypte. Nous avions émis dès long-temps, au sujet de la Russie, des pensées sinon aussi heureusement exprimées, du moins semblables. Sans doute l’Angleterre veut aujourd’hui beaucoup de choses en Égypte ; elle y veut ouvertement une route commerciale, presque aussi ouvertement une route militaire ; elle veut aller aux Indes par l’Euphrate et par la mer Rouge ; elle veut la prépondérance en Égypte, mais elle ne veut pas l’Égypte, car même, pour le moment, l’Angleterre a déjà assez à démêler avec l’Europe, et elle est assez sensée pour ne s’attacher qu’aux avantages réels d’une position, en mettant de côté le vain orgueil du titre de la possession. Nous n’affirmerions même pas qu’en dépit de certaines apparences, l’Angleterre ne fît encore assez état de la France pour reculer devant la conquête de l’Égypte, en songeant que nous ne pourrions pas voir avec indifférence un semblable établissement. La Russie est dans une situation un peu semblable à l’égard de la Turquie. La Russie a de grands projets d’ambition, sans doute ; mais son plan, quelque vaste qu’il soit, ne s’exécute que trop promptement depuis quelques années, et nous ne serions pas étonnés si elle désirait s’arrêter quelque temps sur cette pente trop rapide. Ce serait donc aussi la prépondérance qui serait le but de ses efforts. La Russie a fait plus en Turquie que l’Angleterre en Égypte. Elle s’est ouvert toutes les routes qui mènent à Constantinople ; elle est occupée en ce moment à vaincre les obstacles qui s’opposent à sa prise de possession de toute une rive de la mer Noire, la côte d’Abasie ; ses arsenaux de Sébastopol, de Nikolajew et de Cherson ressemblent à trois batteries braquées sur Constantinople ; un traité plus puissant que les pièces de canon des Dardanelles ferme l’entrée du détroit aux escadres de la France et de l’Angleterre ; les frontières turques sont découvertes, et la Russie s’est assurée, dans le Larsultan, jusqu’à un petit district montagneux qui avait gêné les mouvemens de son armée dans la dernière guerre. Tout est donc prêt pour secourir le sultan ; mais la Russie a un commerce étendu avec l’Orient ; les intérêts de ce commerce s’accroissent dans une proportion rapide. Ira-t-elle risquer une guerre générale pour s’assurer