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l’habileté de le quitter ; mais, en signant le traité d’Unkiar-Skelessi, la Russie emporta la clé du poste important qu’elle évacuait, et elle se réserva d’en interdire l’occupation à toute autre puissance. Tel est l’état où sont les choses aujourd’hui.

On a parlé d’une double note échangée entre le gouvernement français et le gouvernement russe, où le premier de ces deux cabinets déclarait que le traité d’Unkiar-Skelessi lui semblait non avenu en ce qui concerne la France. Nous avons trop souvent plaidé en faveur de la force des traités pour reconnaître une grande force à cette assertion. C’était à la France, c’était à l’Angleterre d’empêcher la conclusion de ce traité, contre lequel personne n’a protesté hautement. Maintenant, s’il y a lieu de le faire rompre, il ne faut pas se le dissimuler, ce sera la guerre ; et ce n’est pas là une des moindres complications de la question d’Orient.

Toutefois, il semble qu’en ce moment le gouvernement turc veuille donner par ses fautes même, à la Russie et à l’Angleterre, les moyens de maintenir pour l’heure la paix en Orient. Par le traité du 8 juillet, la Russie s’est faite la protectrice de la Turquie, protection chèrement achetée sans doute, qui coûtera plus cher encore, mais qui a été acceptée par la Porte quand elle s’est engagée à fermer les Dardanelles aux autres puissances, et la Russie à défendre le sultan contre toute agression du côté de l’Égypte. Ainsi la moindre tentative hostile faite par le pacha pourrait donner lieu à une occupation de Constantinople par les Russes ; mais rien de ce genre n’a été stipulé dans le cas d’une agression de la part du grand-seigneur contre le vice-roi d’Égypte, et dans ce cas, le gouvernement turc n’est pas plus engagé à recourir à la protection des Russes qu’à celle de l’Angleterre et de la France. Il est libre de se défendre sans la tutelle de la Russie. Voilà un vaste champ ouvert aux négociations ; et, dans cette circonstance, la France et l’Angleterre pourront déployer à leur aise ce qu’elles ont d’habileté et de force.

Dans l’état d’égalité où l’agression du grand-seigneur placerait ces trois puissances, il leur sera moins difficile de s’entendre, si le statu quo convient à leurs intérêts. La Russie ne pouvant, en principe, se prévaloir, dans cette circonstance, du droit de protection que lui donne le traité du 8 juillet, en cas d’attaque de la part du pacha d’Égypte, il n’y aurait pas lieu à débattre le plus ou moins de valeur de ce traité aux yeux de la France et de l’Angleterre, et ce serait un grand pas de fait dans la voie des conciliations. Par les correspondances d’Odessa, de la même date que les premières nouvelles d’Orient, nous voyons, il est vrai, que le commandant en chef des forces de la mer Noire a quitté la rade d’Odessa à la tête de cinq vaisseaux de haut bord, de trois frégates, de trois corvettes, d’un brick et de deux bateaux à vapeur, pour prendre la direction des Dardanelles, et que ses instructions lui prescrivent de donner secours et protection à la Turquie. Mais nous savons aussi que la Turquie n’invoquera la protection des armées et des flottes russes qu’autant qu’elle s’y trouvera contrainte par les traités ; et, encore une fois, le sultan a le droit de n’être pas