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le territoire de Syrie, et non sur les terres qui relèvent directement du grand-seigneur. Toutefois le vice-roi ne croit pas pouvoir prendre trop de précautions pour éviter de se constituer agresseur, et il répond à son fils, qui lui demande de nouvelles instructions, par ces paroles, qu’il entend donner à l’Europe comme l’expression officielle de sa pensée : « Continuer à ne rien faire qui puisse être considéré comme une provocation au combat, même dans la situation nouvelle faite par l’armée ennemie. » Mais comment ne pas croire à l’imminence des hostilités, quand le pacha fait annoncer que les troupes turques sont venues camper sur le territoire de la Syrie ? Sait-on bien toute la valeur de ce mot Syrie dans la bouche du pacha, et toute l’importance de la dénégation de l’ambassadeur turc à Paris, qui se hâte de déclarer ici à tout le corps diplomatique et au ministre des affaires étrangères, que les troupes du grand-seigneur sont à Byr, sur l’Euphrate il est vrai, mais sur le territoire turc, à quelques pas du pays de Cham ou de Syrie, il en convient, mais non pas en Syrie ? Toute la question d’Orient est là pour l’heure ; il s’agit uniquement de savoir si, par des raisons hygiéniques ou autres, les troupes du sultan sont en Syrie ou si elles n’y sont pas.

Pour ce qui est de la Syrie elle-même, on sait que cette contrée a toujours été ou l’objet des discordes qui ont eu lieu entre le sultan et son vassal, ou le but où tendait celui-ci en prenant les armes soit pour, soit contre son suzerain. La première investiture de la Syrie qui eut lieu en faveur de Méhémet-Ali, fut la récompense de sa guerre contre les Wahabites, sur lesquels il reprit la Mecque et Médine, les villes saintes, dont la perte affaiblissait l’autorité du grand-seigneur, comme khalif ou chef des croyans. Mais bientôt la Syrie fut reprise à Méhémet-Ali, et elle ne lui fut rendue qu’à l’époque de la guerre de Grèce, en remerciement de la flotte que le pacha équipa à ses frais et envoya au grand-seigneur. Toutefois, ce don fut encore accompagné de quelques restrictions, et Méhémet-Ali fut obligé de lutter, pour la possession de la Syrie, contre le pacha d’Acre, soutenu par la Porte. On sait le résultat de cette dernière guerre. Ibrahim-Pacha s’avança le long de la mer jusqu’aux provinces les plus rapprochées de la capitale, et la Porte fut forcée de rendre la Syrie à son père, après avoir achevé d’aliéner l’indépendance de l’empire ottoman, en demandant le secours des Russes. Qu’on juge de l’irritation que doit causer aujourd’hui au pacha ce qu’il regarde comme une tentative pour prendre la Syrie à revers, et la lui arracher une quatrième fois ! Ses appréhensions ont dû se changer en certitude, s’il faut ajouter foi aux nouvelles apportées le 10 à Syra, par un bateau à vapeur, frété, dit-on, par le consul-général de Russie à Alexandrie, d’après lesquelles l’armée turque aurait réellement pénétré sur le territoire syrien.

L’incertitude qui règne sur toutes ces nouvelles ne permet encore d’asseoir aucune opinion ; mais, à nos yeux, les évènemens peuvent prendre une face toute diverse, selon la nature de la collision qui vient de s’engager, ou qui est sur le point d’avoir lieu. Ils peuvent se présenter d’une manière plus ou moins