Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/738

Cette page a été validée par deux contributeurs.
734
REVUE DES DEUX MONDES.

tinguer entre tous par la pureté de l’intention, la rigueur de la foi, la pitié vive pour toutes les misères. M. Lacordaire est de ce nombre. Prêtre, il est resté fidèle à l’église, et n’a point placé son évangile sur l’autel de quatre-vingt-treize. Journaliste et prédicateur, il a combattu pour le catholicisme avec la double autorité du talent et de la conviction sincère. Mais aujourd’hui, effrayé peut-être des luttes de la presse, qu’il paraît avoir abandonnées sans retour, il se rejette, plus calme et plus mystique, dans le pur enseignement de la chaire chrétienne, et il annonce qu’il va quitter la plume pour la parole, mais la parole libre, nomade, un peu sauvage parfois, de ces frères de Saint-Dominique, qu’on nommait, au moyen-âge, la chevalerie de l’Évangile. L’apostolat, sur tous les points du pays, est, aux yeux de M. Lacordaire, le seul remède de tous les maux qui, depuis cinquante ans, ont accablé, en France, la foi et la liberté ; et pour montrer toute la puissance de la parole chrétienne et de la mission dévouée, il trace rapidement l’histoire des Frères Prêcheurs à dater de leur origine. Cet ordre fut fondé en 1216, par Dominique. Le saint voulut que ses moines restassent pauvres quand l’église tout entière était riche ; il voulut donner la science aux hommes de son temps, et ne recevoir en retour que le pain et le denier de l’aumône. Dès la première moitié du XIIIe siècle, les Frères Prêcheurs comptaient soixante couvens en Italie, en Allemagne, en Portugal, et, mieux que personne, ils contribuèrent, par leur activité et leur science théologique, au triomphe définitif du catholicisme sur les dernières traditions des hérésies gnostiques et manichéennes. Dominique est bien loin, sans doute, de Bernard, mais son influence fut grande encore sur les destinées de son époque. Les historiens contemporains en parlent comme d’un apôtre inspiré ; et les agiographes retrouvent jusque dans les faits les plus simples de sa vie, quelque chose de ces vertus surhumaines, de ce pouvoir que l’église n’accorde qu’aux plus grands amis de Dieu, et qui avait fait surnommer Bernard le Thaumaturge de l’Occident. Quand il prêche, les anges eux-mêmes viennent sonner le sermon ; les statues de la Vierge s’agitent et menacent du doigt les hérétiques ; les fleuves débordent pour engloutir les pécheurs endurcis. Les travaux sans repos de Dominique, ses vertus claustrales, qui de son temps déjà étaient une exception, expliquent d’ailleurs l’enthousiasme des écrivains ecclésiastiques pour sa mémoire. La pauvreté formait chez lui un remarquable contraste avec la cupidité des évêques ; son zèle actif faisait sortir le cloître de l’immobilité contemplative où l’avait plongé le mysticisme ; et en mêlant son ordre à tous les évènemens du siècle, il lui rendait quelque chose de ce double caractère des premiers moines de la Gaule, qui furent à la fois à Marmoutier, à Luxeuil et dans l’île de Lérins, des solitaires, des docteurs et des apôtres.

Ainsi, M. Lacordaire est dans la vérité historique, quand il place les Frères Prêcheurs au premier rang des ordres influens de l’église, et leur fondateur parmi les hommes éminens de l’histoire monastique. Dante a rendu à la piété, aux vertus de Dominique, un éclatant témoignage ; et nous reconnaissons, avec l’auteur de ce livre, qu’on ne saurait sans injustice accuser le pieux