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XVIIe siècle, la poésie vénitienne prit un nouvel essor en acceptant la poésie héroïque et romanesque des Espagnols ; de son côté, le drame espagnol subit l’influence de l’Italie où il s’établissait, car il accueillit la folle plèbe des masques italiens. À la vérité, ce fut une réunion assez bizarre : à côté des grands d’Espagne, on vit s’agiter des figures singulièrement bouffones ; mais on n’était pas soumis alors à cette régularité classique si difficile sur la plaisanterie, si sévère pour les invraisemblances, et l’improvisation faisait passer tout ce qui ne pouvait résister à l’épreuve de la rédaction.

Cette influence de l’Espagne sur Venise dut le céder bientôt à l’influence française. Corneille et Racine, en relevant la poésie classique, firent oublier Lope à Madrid. Les masques italiens ne purent plus se mêler aux héros de la tragédie. Il devint impossible d’improviser du Corneille avec Arlequin et Pantalon. De là les plaintes de Riccoboni et de tous les comédiens de la fin du XVIIe siècle ; de là la susceptibilité des partisans de la comédie de l’art envers Goldoni, si souvent infidèle à Venise par ses imitations des littératures française et italienne ; de là, enfin, l’hostilité de Charles Gozzi contre Chiari, Goldoni, et contre cette France qui renfermait toutes les causes de la décadence où languissait la poésie vénitienne.

Gozzi composa son premier drame pour démontrer à Goldoni qu’on pouvait obtenir du succès avec des pièces frivoles ; à la vérité, quand il se vit auteur tout de bon, il s’efforça de démontrer que ce n’était pas sans raison qu’on l’applaudissait ; mais, malgré tout le bavardage de ses préfaces, il n’a jamais compris le secret de son talent. À notre époque, on peut l’indiquer d’un mot : Gozzi a été le premier romantique de l’Italie moderne ; il s’est inspiré des littératures populaires, s’est rallié à l’Espagne, et a fixé par écrit l’improvisation de la comédie de l’art.

On a dit que Gozzi était l’Hoffmann de l’Italie. Mais Hoffmann est bien près de croire à ses créations monstrueuses ; il recule d’épouvante devant les fantômes évoqués par sa fantaisie ; pour lui, ces gnomes, ces machines humaines poussées par des ressorts inexplicables, sont de la réalité ; Hoffmann craint le diable : quand il écrit, il fait veiller sa femme près de lui. Gozzi, au contraire, l’Italien Gozzi ne croit nullement à son imagination ; il est ironique, burlesque comme Pulci et l’Arioste ; il se livre à sa fantaisie parce qu’elle l’amuse, il s’en moque à l’instant même où elle cesse de l’éblouir. L’Hoffmann italien est bien plutôt Basile, l’auteur des contes napolitains parodiés par Charles Gozzi.

Gozzi a écrit de petits poèmes, les mémoires de sa vie, des nouvelles. Les productions de Gozzi ne manquent jamais de charmes ; elles nous retracent avec une verve inimitable le tableau de la vie vénitienne dans les derniers jours de la république ; elles nous font partager les idées, les passions de l’auteur, de ce vieux Vénitien qui voit dans la religion et l’échafaud les piliers de la société, et se trouve déplacé au milieu d’une société qui va manquer de force et de croyances ! Mais au point de vue italien, les ouvrages de Gozzi sont bien médiocres ; son style est bigarré de phrases vénitiennes ; il tombe dans la tri-