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tions qu’il voulut transporter sur la scène. Scapin, le Bègue, Arlequin, et toutes les mascarades vénitiennes augmentèrent cette réunion bizarre. Gozzi confia sa pièce aux plus habiles improvisateurs de Venise. Il eut un succès fou. La parodie fit éclater de rire, les féeries firent passer le public par toutes les émotions de la terreur. Étonné de son propre talent, Gozzi voulut l’exploiter. Il laissa de côté la parodie, lâcha bride à son imagination et poursuivit sa carrière dramatique par la pièce du Corbeau, dont un conte napolitain lui fournit le sujet. Le roi Millo doit mourir de mélancolie s’il n’épouse pas la princesse qui a les cheveux noirs comme les plumes du corbeau qu’il a tué à la chasse. Janvier, frère du roi, part pour la chercher, la trouve et l’enlève. La scène s’ouvre par un orage. Pantalon dirige les manœuvres du vaisseau, il débarque avec Janvier déguisé en marchand. Pantalon est le grand-amiral de l’empire ; Janvier, sous son déguisement, a enlevé la princesse à un roi de l’Orient, il va se mettre de nouveau en mer pour la conduire à son frère, quand un nécromant irrité lui annonce que Millo mourra la première nuit de ses noces, et que celui qui voudra révéler ce secret sera transformé en statue. Désespoir de Janvier. Au second acte, on voit Millo sous le poids de son chagrin mystérieux ; Truffaldin et Scapin tournent autour de lui avec une foule de lazzis ; tout à coup on entend le canon du port, le capitaine Bredouille vient annoncer l’arrivée d’un vaisseau, on reconnaît la bannière du prince royal, Millo va à sa rencontre. Janvier n’ose pas révéler le secret, il présente la princesse, en se promettant de tout faire pour défendre la vie du roi ; il tâche d’empêcher le mariage, mais ses démarches excitent des soupçons ; il veille sur Millo, mais celui-ci ne voyant pas les dangers invisibles qui l’entourent, se croit trahi, et Janvier est arrêté, jeté au fond d’une tour et condamné à mort par le parlement. Ce n’est qu’à cette dernière extrémité que le prince royal se décide à révéler son secret : il fait appeler le roi, il tâche de l’émouvoir ; et après avoir épuisé tous ses efforts, il lui apprend les prophéties et les menaces du nécromant. Aussitôt le ciel s’obscurcit, la terre tremble, il en sort des flammes, et Janvier est transformé en statue. Le deuil est dès-lors à la cour ; Truffaldin et Scapin s’éloignent de ce séjour qui ne leur convient plus ; le roi est plongé dans une profonde affliction, il ne peut pas se détacher de la statue de son frère. Pantalon, accablé de douleur, hésite à croire ce qu’il voit. La princesse voudrait fuir, se cacher dans la solitude, elle est agitée par d’obscurs pressentimens, elle prévoit d’autres malheurs. En effet, le magicien apparaît de nouveau, et il annonce que la mort de la princesse est nécessaire pour rendre la vie à la statue de Janvier. La jeune épouse se frappe avec un poignard. Par une dernière transfiguration, le drame sort de cette impasse, et l’on arrive à un dénouement heureux, après avoir traversé les rêves pénibles d’un cauchemar.

En composant cette seconde pièce, Gozzi se convainquit pour ainsi dire de l’existence de son génie ; mais, d’après ses idées, c’était un génie puéril et frivole. Il voulut sortir de la région des rêves, et produire les mêmes effets par un enchaînement d’aventures romanesques. C’est ce qu’il fit dans la Thurandot. La Thurandot est une princesse chinoise ; obligée de se choisir un époux, elle