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DE LA LITTÉRATURE POPULAIRE EN ITALIE.

Goldoni était né avec la passion du théâtre : à quatre ans il jouait des rôles dans des farces, à huit ans il crayonnait un drame, à l’école il ne rêvait que représentations théâtrales ; à peine fut-il adolescent qu’il vécut au milieu des comédiens. Doué d’un caractère singulièrement mobile, profondément religieux avec les prêtres, mauvais sujet avec les étudians, charlatan avec les maîtres de musique, tour à tour attaché d’ambassade, sous-préfet, avocat, consul de Gênes, tantôt à la veille de se faire moine, tantôt banqueroutier, Goldoni prenait la vie comme une comédie, il jouait sérieusement ses rôles ; seulement il était obligé de changer de scène, parce que ses équipées lui rendaient impossible un long séjour dans une ville. Un jour le directeur d’une compagnie comique le prit à ses gages, dès-lors il fut définitivement acquis au théâtre. Aussi étourdi dans la pratique de l’art qu’il l’avait été dans celle de la vie, il écrivit une foule de dialogues, de poésies, de farces, de parodies, de comédies sérieuses, de tragédies héroïques, de canevas pour la comédie impromptu, il aborda tous les genres avec une effronterie inconcevable. Sans avoir plus de goût qu’un imprésario, il se réglait d’après le parterre ; nul ou spirituel à son insu, il improvisait toujours les yeux fixés sur Venise, sous la commande d’un entrepreneur, entre les mutineries d’une prima donna et les sollicitations d’un arlequin. — Belisario ou les Querelles du peuple de Chiozza, le Tasse ou l’avocat de Venise, Pantalon ou Térence, tout lui était égal ; quand il peignait les mœurs vénitiennes, il devenait grand poète à son insu ; quand il abordait des sujets étrangers à Venise, il n’était plus qu’un écrivain médiocre, et il s’abandonnait à sa facilité sans s’apercevoir, à la fin de ses cinq actes, qu’il avait tiré une œuvre triviale d’un grand souvenir d’histoire ou de littérature. Au reste, il avait un peu le faire des grands maîtres, quelque chose de cette facilité de génie qui a fait vivre l’Espagne dans les drames de Lope, et Venise est vraiment palpitante dans les scènes que Goldoni a tracées avec un laisser-aller sans pareil. Il l’a montrée telle qu’elle était, avec ses casini, ses cafés, ses gondoliers, ses dames, ses pauvres filles, ses sénateurs, ses causeries, ses bals, ses masques. Jamais écrivain italien n’a pénétré si avant dans l’intimité de la vie ; jamais auteur comique en Italie n’a pris mieux que Goldoni la nature sur le fait, et n’a uni à cette qualité autant d’insouciance. Mais quand Goldoni devait apporter à son travail un peu de soin, un peu d’étude, il ne pouvait renoncer ni à sa négligence, ni à ses habitudes d’improvisateur. Une seule fois il voulut écrire en bonne langue italienne, il feuilleta le dictionnaire de la Crusca, les polémiques sur le Tasse, etc. ; mais il s’ennuya bientôt, il ferma les livres, et fit une comédie sur le Tasse et sur les pédans de Florence. Le langage de la Toscane y était ridiculisé par l’antithèse des patois de Naples et de Venise. C’était sa manière de se venger des critiques, il les surprenait à force de gaieté et de facilité. Pourvu qu’il eût des applaudissemens populaires, il était heureux : une seule accusation le piquait, celle d’épuisement ; c’était une injure amère pour cet improvisateur.

En 1760, à l’âge de cinquante-trois ans, il vint en France : arrivé à Paris, il