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mauvaises productions sans doute, mais elles attestaient un talent bien supérieur à celui qu’on exige aujourd’hui pour la profession d’acteur.

En 1680, commence une autre période. L’influence française se substitue à l’influence espagnole ; on fait des canevas avec des pièces de Molière, de Corneille et de Racine ; on improvise d’après ces canevas, en conservant les personnages, les masques et les patois de la comédie de l’art. Mais cette fois les pièces françaises sont trop classiques, trop correctes, pour permettre le laisser-aller de l’impromptu ; elles excluent la bouffonnerie ; les mœurs aussi sont changées, les acteurs ont de la peine à intéresser le public, leurs saillies sont usées, et l’improvisation n’en fournit pas de nouvelles. Il faut pourtant qu’ils se soutiennent ; ils sont donc obligés d’apprendre par cœur des tirades, de préparer d’avance les scènes, de se faire interrompre par les lazzis d’Arlequin, pour avoir le moyen ensuite de renouer le dialogue avec plus de vigueur. Ils sont aussi obligés de modifier le personnel de la comédie. Le rôle du docteur cesse de plaire dès 1690 ; on ne s’intéresse plus aux drôleries de l’avocat bolonais ; Pantalon, qu’on appelait magnifique à cause de sa richesse et de sa générosité, devient avare et jaloux ; le capitaine espagnol disparaît, ou plutôt il prend l’habit bourgeois de Scaramouche, tout en conservant son orgueil et son allure fanfaronne (1670) ; enfin les vieux masques de bègues, de paysans, de crocheteurs, sont employés plus rarement, parce que la civilisation a déjà passé son niveau sur toutes ces étranges inégalités des mœurs italiennes. Ce n’est pas tout : les acteurs qui avaient des prétentions littéraires, devaient voir avec impatience le règne d’une comédie qui perdait tous les jours ses ressources ; ils devaient éprouver l’envie d’imiter le théâtre français ; et puisque l’influence de la littérature française avait réveillé tous les instincts classiques de l’Italie, ils devaient désirer de voir s’établir un théâtre de l’académie, comme au temps de Léon X. On songea donc à combattre la comédie de l’art, et à constituer un théâtre national. Mais où prendre les pièces ? Cotta les emprunta sans façon à la France ; il traduisit Corneille, Racine, et prétendit réformer le théâtre italien avec des pièces françaises. Il est inutile de dire qu’il échoua. Riccoboni, plus tard, inspiré par les tendances classiques des savans italiens, alla fouiller parmi les vieilles comédies de l’Italie, en choisit une, la Scolastica de l’Arioste, et fit son coup d’essai. On ne put pas même continuer la représentation. Il y avait une foule immense dans le parterre, mais il y avait eu un grave malentendu entre le public et l’acteur. Tandis que celui-ci rêvait le siècle de Léon X et ses vieilles comédies, le peuple, qui ne savait plus ce que c’était qu’une comédie de l’Arioste, était accouru, s’attendant à voir les amours d’Angélique et Médor, les fureurs de Roland, les douze paladins de France, avec Pantalon, Arlequin, Polichinelle, et tout cela augmenté de féeries, de combats et de transfigurations. Jugez du désappointement des Vénitiens, quand ils se virent trompés par des érudits ! Riccoboni se retira en France, en maugréant contre l’ignorance de ses compatriotes.

Quatre ans après Riccoboni se présenta Goldoni, et on vit commencer la dernière époque de la comédie de l’art.