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DE LA LITTÉRATURE POPULAIRE EN ITALIE.

personne ne veut plus parler sa langue, on veut contrefaire les Florentins : c’est comme si moi, qui suis de Padoue, je voulais écrire en allemand ou en français. Maudits soient les fous, cancaro ai matti[1] !

Pourquoi la poésie de Padoue est-elle restée constamment villageoise ? Par une étrange transaction avec l’influence vénitienne. Venise étendait son influence jusqu’aux portes de Padoue ; elle ne pouvait effacer le patois si rétif des Padouans, mais elle déplaçait leur poésie. Celle-ci, au lieu de régner dans la ville de Padoue, fut transportée dans les villas vénitiennes qui paraient les bords de la Brenta ; c’est pourquoi les poètes de Padoue n’ont chanté que des amours champêtres. À leur insu, sans tenir ni à leur ville, ni à Venise, ils ont écrit la véritable pastorale vénitienne ; ils ont suivi de loin la poésie de Veniero, se sont adressés aux nobles de la république, et leur ont dédié leurs ouvrages, en y joignant un dictionnaire padouano-vénitien, pour se faire comprendre.

L’influence de Venise a été plus immédiate sur les autres villes de son domaine : Vérone a eu son poète, Attinuzzi[2], mais elle a bientôt cédé à la capitale son bel-esprit Bona ; plus tard, Brescia a envoyé Chiari à Venise ; Bergame, si originale par son langage et par son Arlequin, a pris à Venise un traducteur de l’Arioste, et a mêlé à son langage le dialecte vénitien dans une foule de pièces[3]. La Dalmatie fut représentée à Venise par Molino, Vénitien de naissance, qui écrivit un long poème dans un patois à demi grec, à demi italien[4]. Les autres villes subirent obscurément des vicissitudes du même genre, tantôt subjuguées par la capitale, tantôt l’enrichissant de leur originalité. Venise professait le principe de n’effacer aucune municipalité, et d’entretenir les différences caractéristiques des villes italiennes. Ce principe, à l’insu de tout le monde, se traduisait naturellement dans l’art vénitien, qui résumait, sous la forme la plus élégante, la poésie d’une population de huit millions d’habitans dispersés dans les montagnes de la Haute-Italie et dans le fond de l’Adriatique.

En 1796, il y avait encore en Lombardie des sociétés de nobles et de bourgeois, qui faisaient un long apprentissage pour jouer les rôles d’Arlequin, de Pantalon et d’autres masques dans les fêtes du carnaval. C’était un reste du moyen-âge. Dans le vieux temps, lorsque la poésie était dans les choses et jusque dans les costumes, la mascarade était une parodie gigantesque qui devait servir de pendant à ces autres représentations sérieuses des fiançailles du doge avec la mer, et des fêtes siciliennes de la Vara et de sainte Rosalie. Ces parodies étaient jouées par des sociétés nombreuses d’après les traditions et avec le langage et les masques propres aux caricatures nationales. Plus tard, quand la poésie se concentra dans la langue et quand le poète put se détacher de la foule,

  1. Ruzzante, en 1500.
  2. Bizarrie : avant 1739.
  3. Voir Assonica : Histoire de la littérature de Bergame.
  4. Livre du Rado Stizzoso, Venise, 1533. — Livre de la Vengeance des fils de Rado Stizzoso. — Les Voyages du capitaine Maroli Blessi, 1561.