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SIDOINE APOLLINAIRE.
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l’Aidat, les autres, auprès du lac Cambon, en Auvergne, et que lui-même a décrite avec une minutie pour nous instructive. Cette description, rapprochée de celle que Sidoine a donnée du burgus de son ami Leontius, présente un tableau complet de toute l’existence d’un grand seigneur gaulois du ve siècle ; on y voit ce qu’était alors la vie de château. Le tour de ces descriptions viendra, quand nous chercherons dans les œuvres de Sidoine la peinture des mœurs contemporaines ; maintenant c’est lui-même que nous y cherchons. Je citerai, dès à présent, une anecdote qui caractérise la classe sociale à laquelle Sidoine appartenait ; elle montre comment un aristocrate Gallo-Romain traitait les vilains qui manquaient de respect à ses ancêtres. Sidoine Apollinaire raconte que, revenant de Lyon et se rendant en Auvergne, il a vu, en passant, des fossoyeurs occupés à fouiller un terrain dans lequel avait été enterré son aïeul. Les paroles mêmes de Sidoine prouvent que le temps avait effacé les traces de l’ancienne destination de ces lieux : n’importe, dans un sentiment un peu exagéré de piété aristocratique pour les auteurs de sa race, Sidoine se précipite de son cheval, et, sans autre forme de procès, fait mourir dans les tourmens ces malheureux, pour une profanation dont ils s’étaient rendus coupables peut-être à leur insu. Ce qu’il y a de plus étrange, c’est que, s’apercevant bien que sa justice avait été quelque peu sommaire, Sidoine, qui était probablement évêque lui-même, écrivit à Patient, évêque de Lyon, duquel l’affaire ressortissait, les sépultures rentrant sous le droit ecclésiastique. Patient, qui du reste était un saint homme, répondit à Sidoine Apollinaire, qu’il avait bien fait ; que, d’après la coutume antique (more majorum), ces profanateurs ne méritaient pas mieux. Il est vrai que Sidoine composait des distiques à triples trochées, qui devaient être placés dans une église que bâtissait l’évêque de Lyon ; apparemment ce petit service littéraire rendait celui-ci coulant sur l’étrange procédure de Sidoine.

Le moment où le nom de Sidoine Apollinaire commence à retentir hors du cercle de ses amis, est celui de son début dans la carrière du panégyrique ; et l’occasion de ce début fut l’élévation de son beau-père Avitus à l’empire. Le gendre du nouvel empereur se rendit à Rome, et prononça devant le sénat un panégyrique en vers. Dès les premiers mots, l’auteur monte au plus haut ton d’exagération dans l’éloge ; s’adressant au soleil : « Phœbus, toi qui verras enfin un égal dans l’univers dont tu fais le tour, garde ta lumière pour le ciel, car ce soleil suffit à la terre. » Ce soleil, c’est le beau-père de Sidoine.