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DU TRAVAIL INTELLECTUEL EN FRANCE.

surplus nous remarquons avec plaisir que, dans la partie littéraire de son livre, M. Duquesnel a montré, pour les artistes contemporains, entre autres pour M. de Lamartine, une sympathie instinctive qui lui a parfois fourni des appréciations judicieuses et distinguées. On sent que les goûts et les études de l’auteur le portent surtout vers les questions littéraires : nous désirons que, dans ses travaux à venir, il consulte mieux ses forces, qu’il choisisse un but qu’il puisse atteindre, un cadre qu’il puisse remplir, et qu’il ne fourvoie plus des dispositions heureuses dans des sujets dont la grandeur démesurée provoque un avortement inévitable.

Nous ferons une dernière remarque sur le livre de M. Duquesnel ; nous relèverons l’oubli complet qui s’y montre des rapports de la France avec les autres peuples. On dirait que la nation française vit tout-à-fait isolée, sans aucun contact avec l’Europe et les autres parties du monde connu. Comme il avait oublié les temps antérieurs en commençant son livre, M. Duquesnel n’a pas songé davantage à tout l’espace qui ne s’appelle pas la France. Cette omission trahit une singulière méconnaissance de l’esprit et des destinées de notre pays. Toujours la France s’est portée avec empressement à la rencontre des autres peuples ; toujours elle a fomenté sa propre vie et l’animation du monde par un fructueux échange de qualités et de vertus. Au moyen-âge, c’est elle qui donne le premier signal des croisades, et qui en accepte la première le périlleux héroïsme ; elle entre à Jérusalem, à Ptolémaïs ; au XIIIe siècle, elle partage avec Venise la conquête de Constantinople, reçoit des Grecs dans les colléges de Paris, envoie des Français dans les provinces de l’Asie mineure ; à la fin du XVe siècle, elle donne le branle à la diplomatie européenne par l’expédition de Charles VIII au-delà des monts ; elle emprunte à l’Italie ses arts et sa politique, aussi bien les ciselures de Cellini que les artifices de Machiavel ; plus tard, elle trouve une littérature originale dans une transformation lumineuse du génie grec et romain ; au siècle dernier, elle écoute avidement les leçons de la philosophie et de la constitution anglaise ; aujourd’hui, c’est surtout avec l’Allemagne et l’Orient qu’elle entre en conférence. Ces relations successives ne sont pas un obstacle à son individualité, mais elles en sont un éclatant témoignage. Demandez à l’Europe si, à travers ces phases diverses, elle n’a pas toujours reconnu l’originalité du type français. Mais, en raison même de cette personnalité forte que rien ne saurait effacer, nous souhaiterions voir la France emprunter à l’Allemagne quelque peu de sa profondeur laborieuse dans l’exercice de la pensée, de sa patience dans la pratique, de cette puissance idéaliste qui lui