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philosophie. Il serait temps que tous ces malentendus misérables disparussent entre les différens travailleurs de la science sociale, et que la solidarité de l’association nous conduisît tous au respect des mérites de chacun. Si l’on considère avec impartialité les travaux qui, depuis trente ans, honorent en France les penseurs de toutes les écoles, on y trouvera une somme de puissance et une tendance pratique qui doivent améliorer notre avenir.

N’oublions pas non plus que l’esprit philosophique a pénétré victorieusement dans la littérature même, et qu’il a changé les allures de nos plus grands artistes. M. de Châteaubriand a, dans ces derniers temps, tellement rationalisé ses croyances primitives, qu’il a déclaré que le christianisme n’est plus le cercle inflexible de Bossuet, mais un cercle qui s’étend à mesure que la société se développe, qu’il ne veut rien comprimer et ne s’oppose à aucune lumière. M. Victor Hugo, le Corrége de notre poésie, a passé des inspirations d’un christianisme royaliste aux lyriques élans d’un panthéisme idéal. Mais l’artiste chez lequel cette transformation s’est manifestée avec le plus de puissance est, sans contredit, M. de Lamartine. On dirait qu’à côté du chantre des Méditations et des Harmonies, un autre poète s’est levé, ayant le même nom et le même génie, pour courir une carrière toute nouvelle à travers des régions jusqu’alors inconnues. Jocelyn et la Chute d’un Ange sont de magnifiques nouveautés, tant dans la manière de M. de Lamartine que dans l’histoire de la poésie française. La métamorphose a été si complète, qu’elle semble avoir dérouté le public qui s’est presque irrité d’avoir à nouer connaissance avec un imprévu aussi éclatant. Le dernier poème surtout, la Chute d’un Ange, si nous exceptons deux critiques[1] qui ont montré, l’un par sa sévérité, l’autre par son enthousiasme, qu’ils comprenaient toute la portée de l’ouvrage, a été jugé avec une légèreté déplorable. Si, de l’autre côté du Rhin, un artiste ayant la célébrité de M. de Lamartine eût offert à l’Allemagne une œuvre attestant un faire nouveau et des opinions nouvelles, il eût été accueilli avec la plus religieuse attention, et, dans les débats dont il eût été l’objet, le respect dû au talent n’eût pas été oublié. Dans une préface récente, M. de Lamartine a jeté lui-même sur la poésie un mépris souverain. Ne pourrait-on reconnaître, dans ce dédain si solennellement exprimé, l’irritation profonde du poète offensé qui n’a voulu du moins laisser à personne la satisfaction de le surpasser en ironie et en injustice, tant sur la grandeur de l’art que sur le mérite de ses propres œuvres ? Au

  1. MM. Gustave Planche et Chaudes-Aigues.