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les points où l’intérêt social lui semble provoquer son dévouement et son énergie. Mais alors qu’arrive-t-il ? Comme l’action de l’homme est successive et partielle, comme on ne peut embrasser avec force une face des choses sans en négliger momentanément une autre, quelques-uns croiront, d’autres affecteront de croire que l’oubli et l’immolation du passé sont la condition de ces actes nouveaux, et qu’on n’a pu se développer sous des faces nouvelles sans se détruire sous les anciennes. Cet inconvénient ne peut être évité ; il doit être subi par les hommes qui se dévouent à la publicité de l’action et de la pensée, ils n’ignorent probablement pas que l’importance des idées et de leurs représentans se mesure à la vivacité des discussions qu’ils soulèvent, et que de nos jours la calomnie est une des formes les plus véridiques de la gloire. Oui, la dissémination sans limites des demi-connaissances à travers la foule, fait salutaire dont le bien est si grand qu’il l’emporte sur un mal réel ; le droit d’écrire appartenant à tous, droit dont le principe est sacré, mais dont l’usage anonyme peut être funeste et injurieux pour la civilisation même, font aux penseurs une condition laborieuse, et l’on pourrait supplier la liberté de la presse de ne pas étouffer la liberté de la pensée. Mais, encore une fois, ces maux veulent être acceptés, et nous dirions volontiers qu’aujourd’hui le courage de l’esprit doit succéder au courage de la foi qui vivifiait les ames au moyen-âge. Au reste, tous ceux qui ont fait de la méditation et des travaux intellectuels un exercice et un plaisir, savent quelle force on puise dans le commerce des idées, comme on s’y retrempe, combien on s’y aguerrit, comment on s’y investit de je ne sais quelle vigueur intense et secrète qui vous maintient dans le libre développement de vous-même.

Mais, pour en revenir à la possibilité d’un jugement à porter sur notre siècle, on comprendra combien il est difficile au milieu des passions contemporaines d’apprécier toutes ces évolutions d’idées, d’hommes et de systèmes : c’est vouloir statuer sur un procès qui n’est pas instruit, c’est prononcer sur le mérite d’un drame d’après l’exposition et les premières scènes. La plupart des personnages qui occupent l’attention du public sont au tiers ou à la moitié de leur carrière ; comment pouvez-vous les connaître et les pénétrer ? pouvez-vous savoir, au moment où nous en sommes du siècle, ce que contient dans ses replis la pensée d’un homme, ce que renferme en puissance le génie plastique d’un artiste ? Il est d’autant plus juste de leur laisser le temps nécessaire pour rendre d’eux-mêmes tous les témoignages que pourra leur fournir la richesse de leur na-