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GOETHE.

la vision se brouille ! Il marche avec sa clé sur le jeune homme ! il le touche ! Malheur à nous ! malheur à nous ! là, là !

(Explosion. Faust tombe raide sur le sol ; les esprits se fondent en vapeur.)

Méphistophélès. (Il prend Faust sur ses épaules.) — Voilà ce que c’est que de se charger d’un fou ! vous vous en trouvez mal, seriez-vous le diable.

(Ténèbres, tumulte.)


Au second acte, nous retrouvons Méphistophélès dans le gothique laboratoire où nous l’avons vu jadis pour la première fois. Faust, épuisé par tant d’émotions, repose sur le lit de ses pères, et tandis que l’amant inquiet d’Hélène poursuit à travers les campagnes du rêve les insaisissables voluptés où son cœur aspire sans relâche, le vieux diable endosse la robe de docteur et vient jeter un coup d’œil sur les lieux témoins du célèbre contrat.


méphistophélès.

J’ai beau regarder en haut, en bas, partout, rien n’est changé ; seulement les vitraux sont moins clairs, il me semble, et les toiles d’araignées plus nombreuses ; je trouve l’encre figée et le papier jauni ; cependant tout est bien demeuré en place. Voilà encore la plume avec laquelle Faust a signé son pacte avec moi, et dans le tuyau tremble encore la goutte de sang que je lui ai tirée. Une pièce unique, en vérité, et que je souhaite de grand cœur au prince des antiquaires !


Survient l’écolier de la première partie. Le jeune héros a fait bien du chemin depuis, le voilà bachelier maintenant, et comme il faut toujours que la faiblesse humaine trouve son compte, même dans les moindres sujets, il a monté tout à coup son orgueil au niveau du grade qu’il occupe désormais dans l’université : autant il était humble, timide et simple autrefois, autant il se montre aujourd’hui arrogant et superbe. Philosophe absolutiste, infatué de son mérite, le monde commence avec lui. Ici Méphistophélès cède sa place à Goethe, et la personnalité susceptible du vieillard s’empare de la scène ; c’est toujours la même ironie, le même dédaigneux sang-froid, le même ton de sarcasme et de mépris ; seulement, à travers cet air d’impassibilité qu’il affecte de prendre, un sentiment de tristesse profonde se fait jour : la mélancolie de ce visage auguste perce par les trous du masque de pierre qui le recouvre. Dans la première partie de Faust, l’ironie de cette scène a quelque chose en soi de plaisant et de sympathique, parce qu’elle s’exerce de plus haut ; cette manière aisée et familière de traiter le pauvre diable qui se sent pour toutes les carrières une égale vocation, et de le