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GOETHE.

avoir une idée de son art inconcevable, il faut l’étudier dans ses moindres caprices, lorsqu’il verse en se jouant le métal de sa pensée dans le moule étroit et rigoureux qu’il s’est choisi, et lutte avec les difficultés du rhythme le plus sévère. Il assemble les mots en groupes sonores et combine ses petits vers dans la strophe comme les fils merveilleux d’un tissu d’or. Je ne sais rien au monde de plus frais et de plus doux que le chœur des sylphes au premier acte ; et les paroles d’Ariel, quelle musique ! cela murmure, cela gazouille, cela siffle et s’exhale ; c’est un parfum de lys dans l’air, c’est le vent dans le feuillage, c’est la poésie allemande dans son évaporation la plus suave.

Dans la première partie, Faust est d’abord en proie au doute de la science, et plus tard à toutes les ardeurs de la poésie. On le voit lutter avec les exigences superbes d’un esprit hautain et sans repos, qui prétend approfondir tous les mystères et ravir à la terre ses plus divines voluptés. Cette lutte finit avec le pacte qu’il signe à Méphistophélès, auquel Faust appartiendra dans l’autre vie, si son désir est satisfait ici-bas. Dès-lors l’action commence. Les rapports inquiets et fatals qu’il se crée avec la nature et l’humanité, la transfiguration de Faust, son amour pour Marguerite, le Blocksberg et ses vingt illusions, sont autant de tentatives pour apaiser cette ame insatiable. Toutes échouent ; le bonheur et le désespoir, comme deux vents contraires, soulèvent à chaque instant les océans de sa conscience ; il tombe des hauteurs de la foi dans les abîmes du doute, va d’épreuve en épreuve, cueille les plus doux fruits de l’arbre de la vie et les plus amers ; mais, dans ce tumulte, aucun repos, aucune jouissance. Et comment pourrait-il en être autrement, aussi long-temps qu’une étincelle divine tremblera parmi les cendres tièdes de son cœur, aussi long-temps que l’esprit de négation ne sera pas le maître absolu de son être ? À chaque pas qu’il fait dans la vie, il se heurte contre une pierre, il trébuche ; il cherche la vérité, la force, l’unité, et ne trouve que les contraires. Il ouvre les bras dans l’espace, invoquant de toutes ses forces une créature qui le soutienne et le console, et lorsqu’il croit l’avoir trouvée, il sent, le malheureux ! qu’il n’étreint que le vide. Il en est de son bonheur comme de ses peines. Au milieu de ses plus franches exaltations, lorsque l’ivresse l’emporte au-delà des soucis du moment, au-delà de la crainte de voir se dissiper tout à coup les voluptés dont il s’entoure, de mystérieux désirs s’éveillent en lui, le souvenir de la Divinité tombe comme un rayon du ciel dans son ame pour en éclairer les ruines, et dès-lors, pâle, triste, éperdu, il regrette amèrement la durée éternelle et la consécration sereine