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contre la coalition, nous comprendront sans peine. À nos yeux comme aux leurs, sans doute, le salut du gouvernement de juillet, en butte à tant d’ennemis, dépend d’une administration qui ait tous les moyens de se défendre et d’imposer à ses adversaires par son expérience, par l’influence que peut donner sur l’armée une grande réputation militaire, par l’éloquence à la tribune, enfin par tout ce qui fait la force dans une organisation telle que la nôtre. Mais, dès sa naissance, voilà le ministère en butte aux attaques qui ont paralysé le cabinet de M. Molé. Or, il se trouvait aussi des hommes de talent et des hommes d’affaires dans le ministère du 15 avril, et parmi eux, il n’en était pas qui eussent accusé leurs prédécesseurs de n’être que des simulacres de gouvernement ! Cependant le ministère de l’amnistie a succombé sous ces attaques !

Au temps du ministère du 15 avril, nous avons toujours traité ces accusations de calomnies d’abord, car nous étions sûrs de la vérité de nos paroles ; nous ajoutions ce qu’il nous est permis d’ajouter aujourd’hui : c’est que les doctrines professées dans les partis coalisés sur la responsabilité des ministres et l’influence de la couronne sont une exagération du gouvernement représentatif. On conviendra que ce n’est pas le moment de discuter bien au long cette éternelle thèse ; mais ce n’est pas non plus le moment de l’abandonner et de céder sur ce point à nos anciens adversaires, qu’ils soient restés dans l’opposition, ou qu’ils aient passé dans d’autres rangs. C’est sur ce terrain que se sont réunis tous les partis qui ont combattu le gouvernement depuis un an, et l’émeute est venue les y rejoindre. Assurément ils ne lui avaient pas donné ce rendez-vous ; mais quelle thèse était plus favorable que celle-là à ceux qui veulent changer la forme même du gouvernement. Les uns veulent, il est vrai, contenir la couronne en lui donnant des ministres de leur choix ; mais les autres croient aller plus droit au remède du prétendu mal en supprimant la couronne. Tandis que les partis parlementaires persuadaient à la chambre qu’il fallait changer de ministres, les factieux tâchaient de persuader plus bas que le changement devait être plus complet. C’est ainsi que se traduisaient en passions violentes les opinions que nous avons vu s’élever si subitement sur le ministère du 15 avril ; et après ce qui s’est passé depuis trois jours, il ne peut rester de doute aux esprits modérés sur les dangers de cette polémique.

Les meilleurs esprits semblent avoir oublié que nous avons adopté une forme de gouvernement qui fut donnée, il y a quelques siècles, à l’Angleterre, par la plus puissante des aristocraties, laquelle, s’appuyant sur le peuple, dont elle disposait, entoura la couronne de liens, et lui laissa à peine la simple connaissance des affaires de l’état. Et c’est dans un pays où la classe moyenne est récemment en possession du pouvoir, dans une organisation chancelante, nouvelle, où cette classe dominante a contre elle l’aristocratie, écartée des affaires, privée de son influence, et les classes inférieures, qu’on excite chaque jour à la désobéissance et à la destruction ; c’est dans un tel état de choses qu’on veut réduire à rien l’influence de la couronne, et faire une fiction de celui qui la porte ! La classe moyenne ne se trouve-t-elle pas déjà assez isolée ? veut-elle