Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/570

Cette page a été validée par deux contributeurs.
566
REVUE DES DEUX MONDES.

ne sont, en réalité, que des échoppes solidement construites ; on dirait un vaste bazar. L’Allemagne fournit à Crayova la plupart de ses marchandises, qui consistent surtout en quincaillerie et en mercerie. Les Valaques ont la passion des spiritueux, et les liquoristes forment au moins le cinquième des négocians établis dans cette ville. Les maisons des particuliers, éparpillées sans aucun ordre, sont vastes et pour la plupart entourées de jardins. Une espèce de pont, construit en madriers de chêne et d’un entretien difficile et coûteux, remplace, dans les rues, le pavage ordinaire.

Crayova possède depuis peu de temps une école centrale bien organisée. Les cours y sont partagés en quatre classes : la première est destinée aux enfans des pauvres et des paysans, qui y apprennent à lire, à écrire et à calculer. Les individus qui veulent se livrer au commerce trouvent, dans la seconde classe, l’instruction nécessaire ; les deux autres ne sont suivies que par les jeunes gens qui désirent faire des études plus sérieuses.

Je quittai M. Falkojano le soir, espérant parcourir de nuit une bonne partie du vaste désert qui sépare Crayova de Boukarest ; mais nous n’avions point franchi la moitié du premier relai, que mon caroutche, dans lequel, il est vrai, je m’agitais comme un damné, tomba brisé en quatre morceaux. Le souroudjou, sans s’émouvoir le moins du monde, me laissa sur le rebord d’un fossé, et retourna chercher un nouvel équipage. Lorsque nous arrivâmes devant la rivière de l’Olta, il était trop tard pour passer le bac ; je m’endormis alors philosophiquement jusqu’au jour. Des rives de l’Olta à Boukarest, le pays est nu : c’est une plaine de trente lieues dévastée par la guerre, et qui est depuis ce temps restée sans culture, comme si, dans l’opinion des Valaques, elle devait encore bientôt servir de champ de bataille. Les bois qui la couvraient ont été rasés et brûlés, il n’en reste que quelques taillis chétifs ; mais pas un village, pas une terre labourée : la nature brute a reconquis tous ses droits ; seulement, à de longs intervalles, deux ou trois cabanes élèvent à peine au-dessus du sol leurs toits de chaume. Dans ces huttes souterraines végètent des êtres tellement dégradés par la misère, qu’ils semblent ne plus appartenir à l’humanité. L’abrutissement que nous signalons est heureusement exceptionnel ; les habitans de la plaine ont été refoulés vers les montagnes, et il y a de l’aisance dans les vallées des Karpathes, notamment du côté de Tergowist.

Mes postillons dévoraient l’espace ; penchés sur leurs petits chevaux, ils les excitaient par un hourra continuel. Dès notre arrivée à